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à qui veut bien juger. Nous l’étudierons d’après le nouveau spécimen qui nous en est offert. Le caractère nous en apparaît désormais avec netteté. Ç’a été une entreprise, couronnée de succès, pour appliquer au roman, au lieu des méthodes toujours périlleuses et incertaines de la composition littéraire, des procédés ayant la simplicité, la rapidité, la sûreté et d’ailleurs l’insuffisance des procédés mécaniques.

Nous appartenons à un temps où les conditions de la vie ayant changé, les intérêts de la masse primant ceux de l’élite, les besoins de confort et de bien-être s’étant répandus, les industries de luxe ont dû se transformer pour nous livrer à meilleur compte et en plus grande quantité des objets qui aient encore les dehors de l’élégance et l’apparence du bon goût. La qualité est inférieure, le travail est plus grossier, il n’y faut pas regarder de près ; mais, pourvu qu’on se mette à distance, cela fait illusion, cela joue le vrai. Le problème de la production à bon marché est celui qui domine toute l’époque moderne. Le roman naturaliste a réalisé le problème de la littérature à bon marché.

Aujourd’hui on veut dans le roman de l’observation. Rien n’est plus difficile que d’observer. Il y faut un don, fait de justesse de coup d’œil et de pénétration intellectuelle : le nombre est très petit des gens qui savent voir. Il faut en outre de l’étude, de l’application, de l’effort. Ceux mêmes qui étaient le mieux doués pour l’observation, n’arrivent de coutume à connaître qu’un très petit coin du monde, celui où ils ont vécu, avec lequel l’habitude et la sympathie les ont rendus familiers. Mais on n’écrit guère quand on n’écrit que de ce qu’on connaît bien et à fond. Et de vivre confiné dans son coin, ce n’est plus la mode au temps des chemins de fer. L’abbé Pierre Froment prend le train, descend à Lourdes, fait un pèlerinage, et remonte en wagon muni de tous les documens pour un livre qu’il n’a plus qu’à écrire. Ce livre, à cause peut-être de cette documentation un peu trop hâtive, contenait des inexactitudes qu’on eut la méchanceté d’y relever. Il enfermait aussi des théories qu’on eut le tort de reprocher à ce prêtre, d’ailleurs incrédule. L’abbé Pierre Froment ira lui-même plaider sa cause en cour de Rome. Il reprend le train, débarque à Rome, où il a l’intention de ne passer qu’une quinzaine de jours ; il y reste trois mois, son affaire ayant traîné en longueur. Il met le temps à profit, se promène en suivant scrupuleusement les indications du Guide du promeneur dans Rome, s’informe, questionne les gens, va partout où il peut aller et où on veut bien le recevoir. Il prend des notes à mesure et remplit avec la conscience la plus louable le métier de reporter où il s’est improvisé. Au retour, il n’a plus qu’à « rédiger » ses impressions. Il rédige avec abondance et sérénité, sans se douter qu’il puisse y avoir de la différence entre une visite et un séjour, entre une excursion et un voyage,