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la morale des braves gens, celle qui conseille de se donner du plaisir quand ça ne fait d’ailleurs de mal à personne, et de s’accoupler quand l’envie vous en prend, sans déranger le maire ni le curé : ce n’est pas la morale chrétienne. L’auteur de Rome devait être ou un croyant, ce à quoi M. Zola ne prétend pas, ou un penseur d’une grande largeur d’esprit. Mais les livres de critique de M. Zola prouvent supérieurement que s’il a d’autres dons, il est, comme cela arrive souvent aux créateurs, tout à fait dépourvu d’intelligence critique. Je pourrais prolonger cette énumération. Mais on voit assez pour quelles raisons il était permis de craindre que Rome ne fût fort au-dessous de n’importe quel chapitre de l’histoire des Rougon-Macquart.

L’événement n’a pas justifié cette crainte. Je m’empresse de le reconnaître ; et cela démontre une fois de plus qu’en critique comme ailleurs il faut se défier de l’a priori. Le nouveau roman de M. Zola n’est pas sensiblement inférieur aux précédens. S’il est plus ennuyeux, c’est surtout qu’il est plus long. Il est plus long que Lourdes de cent cinquante pages, et de trois cents pages plus ennuyeux que la Bête humaine. À mesure qu’ils se succèdent, les livres de M. Zola deviennent plus copieux. Plus il va et plus l’auteur devient incapable de se contenir. C’est là entre ce dernier volume et ceux qui l’ont précédé la seule différence appréciable. À tous les autres points de vue, l’identité est absolue. Pour décrire la ville des papes, M. Zola n’a pas cru qu’il fallût d’autres moyens que pour décrire l’assommoir du père Colombe ou le magasin de nouveautés d’Octave Mouret. Homme à système, il a un système qu’apparemment il trouve bon et dont il ne se soucie donc pas de changer. Il a des gaufriers d’où il tire toujours les mêmes gaufres. Il a des cadres tout prêts : il les bourre tantôt avec une substance et tantôt avec une autre, tantôt avec des histoires d’ivrognes ou de filles publiques, d’artistes ou de boursiers, de bourgeois ou de paysans, de maraîchers ou de chauffeurs mécaniciens, tantôt avec des récits de miracles ou d’intrigues de sacristie : il en sort toujours le même roman. On a beau faire observer respectueusement à M. Zola que tout ici-bas doit se renouveler et qu’il risque de nous lasser, il a beau se rendre compte lui-même que personne ne le suit plus et qu’on le laisse dans sa solitude, il s’obstine à refaire avec entêtement la même chose.

C’est un remarquable exemple de fidélité à soi-même, et qui a, si l’on veut, sa beauté, quelque peu mélancolique. Maintenant que personne ne se passionne plus pour ou contre le naturalisme, que les discussions auxquelles il donna heu se sont apaisées, et qu’aux colères de jadis a succédé l’indifférence ou même une sorte de bonhomie amusée, il peut être curieux d’en dresser le bilan. Ce qui fut le roman naturaliste est aujourd’hui assez éloigné de nous, assez relégué dans le passé, pour que nous {missions l’envisager avec ce recul nécessaire