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de l’alliance. Or, tout ce qu’elle sait de politique et tout ce qui lui tient au cœur se résume en cette union des deux maisons qu’elle personnifie et qu’on lui montre dangereusement menacée par sa faute. Cette intimidation réussit. L’enfant prend une grande résolution et parle à Mme du Barry, le 1er janvier 1772. « Madame ma très chère mère, je ne doute point que Mercy ne vous ait mandé ma conduite du jour de l’an et j’espère que vous en aurez été contente. Vous pouvez bien croire que je sacrifie toujours tous mes préjugés et répugnances, tant qu’on ne me proposera rien d’affiché et contre l’honneur. Ce serait le malheur de ma vie, s’il arrivait de la brouillerie entre mes deux familles ; mon cœur sera toujours pour la mienne, mes devoirs ici seront bien durs à remplir. Je frémis de cette idée ; j’espère que cela n’arrivera jamais et qu’au moins je n’en fournirai jamais le prétexte. »

Qu’avait donc fait Marie-Antoinette pour consolider à nouveau l’alliance de la Maison de France et de la Maison d’Autriche ? Le jour de l’an, au grand défilé chez elle des dames de la Cour, quand Mme du Barry s’était présentée avec la duchesse d’Aiguillon et la maréchale de Mirepoix, la Dauphine avait d’abord parlé à la duchesse, puis, passant devant la favorite, elle avait dit en la regardant : « Il y a bien du monde aujourd’hui à Versailles. » « Il y a bien du monde ! » à ces simples paroles, la Cour entière est en révolution ; le soir, le Roi accueille la Dauphine les bras tendus pour l’embrasser et l’accable de démonstrations de tendresse ; chez le duc d’Aiguillon, on célèbre sa bienveillance, sa grâce, sa modération. Chez Mesdames, au contraire, c’est une indignation violente, et l’exaltée comtesse de Narbonne parle de trahison. On y fait si fâcheuse mine à Marie-Antoinette qu’elle dit à Mercy, déjà presque au repentir : « J’ai parlé une fois, mais je suis bien décidée à en rester là ; cette femme n’entendra plus le son de ma voix. »

Un grand pas cependant a été fait par Marie-Antoinette. Elle a secoué le joug de ses tantes, et c’est le commencement d’une nouvelle vie où elle accepte de suivre exactement les vues de sa mère. Ce que Mercy et Vermond lui présentent comme un acte d’indépendance, comme la première œuvre de sa réflexion personnelle, n’est au fond qu’un changement de tutelle. De ce mobile esprit d’enfant, plein de générosité, mais peu capable encore de volonté, on va faire pour longtemps l’aveugle instrument d’une grande politique. Le but poursuivi par Vienne est enfin atteint. Le vieux chancelier Kaunitz, ainsi que le nouvel ami de la Du Barry, ont surtout envisagé l’Archiduchesse envoyée à Versailles comme un atout de choix parmi leurs cartes. Ce qui les