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Après la conversation de Mercy et tout ce qu’il vous a dit que le Roi souhaitait et que votre devoir exigeait, vous avez osé lui manquer ! Quelle bonne raison pouvez-vous alléguer ? Aucune. Vous ne devez connaître ni voir la Du Barry d’un autre œil que d’être une dame admise à la Cour et à la société du Roi. Vous êtes la première sujette de lui, vous devez l’exemple à la Cour, aux courtisans, que les volontés de votre maître s’exécutent. Si on exigeait de vous des bassesses, des familiarités, ni moi ni personne ne pourrait vous les conseiller ; mais une parole indifférente, de certains égards, non pour la dame, mais pour votre grand-père, votre maître, votre bienfaiteur ! »

En son français ordinairement pur, mais irrité ici jusqu’à l’incorrection, Marie-Thérèse se montre bien dure. Chez sa fille, le sang de Lorraine s’émeut, elle court s’enfermer dans son cabinet et, toute respectueuse qu’elle soit : « Vous pouvez être assurée, répond-elle, que je n’ai pas besoin d’être conduite par personne pour tout ce qui est de l’honnêteté. J’ai bien des raisons de croire que le Roi ne désire pas de lui-même que je parle à la Barry, outre qu’il ne m’en a jamais parlé. Il me fait plus d’amitiés depuis qu’il sait que j’ai refusé, et si vous étiez à portée de voir comme moi tout ce qui se passe ici, vous croiriez que cette femme et sa clique ne seraient pas contens d’une parole, et ce serait toujours à recommencer… Je ne dis pas que je ne lui parlerai jamais, mais ne puis convenir de lui parler à jour et heure marqués pour qu’elle le dise et en fasse triomphe. Je vous demande pardon de ce que je vous ai mandé si vivement sur ce chapitre ; si vous aviez pu voir la peine que m’a faite votre chère lettre, vous excuseriez bien le trouble de mes termes. »

M. de Mercy, qui a trouvé le moyen de gagner Mme du Barry et de devenir pour elle, en peu de temps, une sorte d’officieux et de confident, est moins heureux, dans sa diplomatie féminine, auprès de la petite princesse à qui il prodigue son dévouement avec plus de sincérité. Cet honnête homme d’ambassadeur, habitué à entretenir des filles d’opéra, ne pénètre pas aisément une âme qui est encore une âme de jeune fille. Il ne comprend pas que Marie-Antoinette conçoive d’elle-même son devoir autrement qu’on ne le lui montre. Il s’imagine que sa résistance vient de Mesdames et qu’il suffira de la détacher d’elles pour que tout s’arrange. Désormais ses principales démarches vont à ce but : rapports à l’Impératrice, instructions à l’abbé de Vermond, longues audiences chez la Dauphine, tout est destiné à détruire l’influence contraire à la sienne : « La conduite de Mesdames, répète-t-il à Marie-Antoinette, n’a jamais été que légèreté,