Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturellement avec elle. Je reçus de sa part plus de distinctions que n’en avaient éprouvé les autres. Je ne me suis point mis à table, et la comtesse du Barry, sous prétexte qu’elle devait être rentrée chez elle avant onze heures, ne soupa pas non plus. La conversation fut interrompue par le duc d’Aiguillon qui, en me prenant à part, m’apprit que le Roi voulait me parler en particulier, et qu’il était chargé de me proposer de me rendre le surlendemain au retour de la chasse chez la comtesse du Barry, où Sa Majesté me verrait. Je répondis sans hésiter que je me rendrais partout où le Roi l’exigerait. » Mercy ne douta point, et le dit en souriant à d’Aiguillon, que le but réel du Roi ne fût de le faire aller chez la favorite. Le surlendemain, la Dauphine, recevant le matin les ambassadeurs, s’approche de Mercy et lui dit à mi-voix : « Je vous fais compliment de la bonne compagnie où vous avez soupe dimanche. — Il y aura aujourd’hui même, répond-il, un événement bien plus remarquable, dont j’aurai l’honneur de rendre compte demain à Votre Altesse Royale. » Cet événement est l’audience du Roi, qui doit être précédée de l’entrevue savamment combinée avec Mme du Barry. L’ambassadeur se prête au piège ; ce tête-à-tête diplomatique avec une jolie femme ne l’effraye point, et il se prépare à mettre tous les madrigaux dont il dispose au service de son Impératrice.

« Le duc d’Aiguillon, raconte-t-il, m’avait donné rendez-vous au château à sept heures ; il vint m’y trouver, et me disant que le Roi, de retour de la chapelle, achevait de s’habiller, il me conduisit chez Mme du Barry. Elle me pria de m’asseoir à côté d’elle. Le duc d’Aiguillon, sous prétexte de voir un portrait qui était dans la pièce voisine, y emmena trois personnes qui se trouvaient présentes. La favorite prit ce moment pour me dire qu’elle était très aise que l’idée du Roi de me parler chez elle la mît à portée de faire ma connaissance. Elle voulait s’en prévaloir pour me confier un sujet de peine qui l’affectait beaucoup ; elle n’ignorait pas que depuis longtemps on s’était occupé à la détruire dans l’esprit de Madame la Dauphine, et que pour y parvenir on avait eu recours aux calomnies les plus atroces, en osant lui attribuer des propos peu respectueux sur la personne de Son Altesse Royale ; bien loin d’avoir à se reprocher une faute aussi énorme, elle s’était toujours jointe à ceux qui faisaient les justes éloges des charmes de Madame l’Archiduchesse ; quoique cette princesse l’eût constamment traitée avec rigueur et une sorte de mépris, elle ne s’était jamais permis de plaintes contre Son Altesse Royale, mais uniquement contre ceux qui lui inspiraient ces mouvemens d’aversion. Enfin le Roi allait venir, et elle me priait de vérifier ce qu’elle m’avait dit pour sa justification. »