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à ce qu’on se proposait d’y faire. Cela satisfaisait les secrètes rancunes de Mesdames, et la Dauphine se réjouissait naïvement avec elles des sévérités répétées du Roi : « Il y a à cette heure, écrit-elle, beaucoup de train ici. Il y a eu samedi un lit de justice pour affirmer la cassation de l’ancien Parlement et en mettre un autre. Les princes du sang ont refusé d’y venir et ont protesté contre les volontés du Roi ; ils lui ont écrit une lettre très impertinente signée d’eux tous, hors du comte de la Marche, qui se conduit très bien dans cette occasion-ci. Ce qui est le plus étonnant à la conduite des princes, c’est que M. le prince de Condé a fait signer son fils qui n’a pas encore quinze ans et qui a toujours été élevé ici ; le Roi lui a fait dire de s’en aller, de même qu’aux autres princes, à qui il a donné défense de paraître devant lui et devant nous. » C’est bien là de la politique de petite princesse, déjà batailleuse et prompte à épouser les querelles de son entourage ; on l’explique à coup sûr, et même on n’en comprendrait pas d’autre ; mais elle n’entrevoit pourtant pas assez quelle énorme et nouvelle victoire enregistrent le chancelier et la favorite.

A côté de l’intimidation et des coups de violence, le trio Maupeou-d’Aiguillon-Du Barry s’affirmait dans la distribution des faveurs. C’est là surtout le département de la femme, ministère apparent de l’amabilité et de la grâce, au fond officine vénale et louche de la corruption. Jamais les bassesses qui sollicitent les gens en place n’avaient reçu si large et si prompte récompense. On payait comptant les dévouemens, d’où qu’ils vinssent. Y avait-il une place vacante, régiment, évêché, ambassade, le choix de plus en plus aveugle de Louis XV était toujours celui que la favorite, à sa toilette, lui jetait par-dessus l’épaule. Le mariage du comte de Provence fut la grande curée des profitables déshonneurs : ce fut Mme du Barry qui dressa la liste des charges de la maison qu’on créait pour la princesse savoyarde. Une de ses premières amies, Mme de Valentinois, fut dame d’atours ; le comte de Modène, l’âme damnée de La Vauguyon, entra dans la maison du comte de Provence comme gentilhomme d’honneur. Quant aux places secondaires, on en multipliait le nombre, tant il y avait d’avidités à satisfaire. Toutes ces créatures avaient pour rôle d’acquérir la comtesse de Provence à Mme du Barry, d’obtenir d’elle, à force de flatteries et de mensonges, ce soutien ou au moins ces égards qu’on avait vainement demandés à la Dauphine ; pour le mari, on comptait utiliser avant tout la jalousie qu’il portait à son aîné et qui lui faisait prendre volontiers le contre-pied de sa conduite.

Marie-Antoinette, informée de ces intrigues, disait qu’elle avait bien peur de voir sa future belle-sœur, « si elle n’a pas