Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

baromètre de Passemant, dont la cage de bronze doré était garnie de médaillons de Sèvres, la pendule de Germain pour la chambre à coucher, où la flèche d’un Amour indiquait l’heure, une bibliothèque de maroquin toute aux armes et à la devise, un meuble de salon de bois doré et de satin blanc brodé de soie ; enfin des scènes flamandes de Van Ostade et de Téniers, et toute une collection de jeunesses de Greuze, que présidait le buste du seigneur du Parc-aux-Cerfs. C’était, dans ces chambres au plafond bas, éclairées en mansardes, un entassement de magnificences ou de raretés, une réduction de Louveciennes[1].

Louis XV n’avait qu’un escalier à prendre pour aller de chez lui chez sa maîtresse, et, de sa bibliothèque même, un passage secret qu’on venait d’ouvrir, l’introduisait dans la chambre, où la comtesse, enfouie dans les dentelles, sur son lit de bois doré, donnait ses audiences du matin. Ses grands repas d’apparat, ses fêtes vraiment royales, c’était à Louveciennes que les offrait Mme du Barry, dans ce beau vestibule de marbre que représente la célèbre aquarelle de Moreau le jeune. Ici, dans l’étroit appartement, voisin des cabinets où le Roi s’amusait à cuisiner lui-même, c’étaient les petits soupers servis par Zamor, la vie familière un peu bourgeoise, et aussi la continuelle obsession des affaires, qui montaient chaque jour l’escalier derrière le Roi. Mme du Barry ne détestait pas, à l’occasion, les occupations sérieuses ; il y en avait auxquelles elle prenait goût et qu’elle considérait comme de son ressort. Elle fixait le répertoire des spectacles de la Cour et même de la Ville ; elle jugeait les différends entre les comédiens du Roi, que lui soumettaient messieurs les premiers gentilshommes ; elle étudiait, sur les plans d’architectes protégés par elle, la reconstruction de la Comédie-Française. Les commandes aux artistes, les décisions pour les maisons royales passaient par ses mains. L’intendant des Menus venait prendre ses ordres pour les fêtes de la Cour, et quand le directeur des Bâtimens manquait d’argent pour ses travaux, ce qui arrivait sans cesse, il recourait à son intervention, la seule qui pût entr’ouvrir les coffres sonnant creux de l’abbé Terray. Marie-Antoinette ne pouvait deviner que les demandes de sa fantaisie étaient portées tout d’abord chez cette étrange rivale et qu’elle lui en devait plus

  1. Ce résumé est fait d’après les inventaires publiés par MM. de Goncourt et Ch. Vatel. La jolie description donnée par les historiens de la Du Barry est placée dix-huit mois trop tôt. Nous écartons de la nôtre le fameux Charles Ier de Van Dyck, destiné à inquiéter Louis XV sur son Parlement ; l’exiguïté des panneaux où on aurait pu placer le tableau est une des raisons qui permettent de rejeter cette légende. D’autres points que nous considérons comme légendaires, à propos de la favorite, seront reconnus plus loin par le lecteur, ne fût-ce qu’au silence de notre texte.