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la sœur du ministre. La duchesse de Gramont prétendait voyager pour sa santé, pour aller prendre les eaux à Barèges ; en réalité, c’était pour visiter les magistrats des provinces, leur porter un mot d’ordre, unir étroitement les Parlemens de Provence et de Languedoc à ceux de Bretagne et de Paris, et, par le soulèvement général des robins de France, intimider les adversaires de Choiseul, détruire le chancelier Maupeou et faire reculer le Roi. La violente dispute du premier gentilhomme et du ministre avait fait du bruit à la Cour ; tout le monde avait pris parti, et sans doute le Roi lui-même y avait fait allusion devant la Dauphine, car celle-ci, malgré ses sentimens pour Choiseul, s’était montrée fort indisposée contre la duchesse de Gramont. La seule règle un peu fixe qu’elle eût dès lors pour juger de la politique intérieure était qu’on devait au souverain l’obéissance aveugle des bons sujets, et que les rois de France, sauf sans doute en leurs affaires de cœur, étaient incapables de se tromper.

M. de Choiseul avait nié effrontément la conduite de sa sœur. Il sentait le danger de prêter flanc à des attaques sur un sujet qui intéressait aussi personnellement le Roi que sa querelle avec les Parlemens. Le moins bruyant de ses ennemis, non le moins perfide, le chancelier Maupeou, qui soutenait seul le poids de cette lutte, le guettait dans le Conseil, les yeux dans les yeux, à l’affût du faux pas, de la parole imprudente qui devait le lui livrer. Il importait à Choiseul de séparer tout à fait sa cause de celle des parlementaires. Sous les coups répétés du chancelier, le vieux Parlement de Paris se déracinait. Peu de jours après l’algarade de Richelieu, Louis XV arrivait brusquement dans sa capitale, entouré de ses mousquetaires ; les magistrats étaient convoqués à l’improviste au Palais ; le chancelier leur adressait les réprimandes royales les plus sévères, les plus rudes qu’eussent jamais écoutées les Chambres assemblées. On enlevait les minutes de la procédure contre d’Aiguillon, les arrêts étaient effacés des registres, toutes les pièces anéanties, et défense était faite de jamais plus s’occuper de cette affaire. Quelle que fût désormais l’attitude du Parlement, décidé à protester contre la force et à suspendre ses fonctions, cette journée marquait le triomphe définitif de l’ancien gouverneur de Bretagne ; et le souper de Mme du Barry dut être, ce soir-là, plus joyeux encore que de coutume.

Tout le monde trembla autour de Choiseul. Le duc et son cousin, M. de Praslin, ministre de la marine, n’avaient été prévenus que la veille des graves intentions du Roi. C’était une marque de méfiance, un indice significatif. Il apprenait aussi qu’on discutait sérieusement, chez la favorite, la date de sa disgrâce, de l’événement escompté depuis si longtemps et qu’empêchaient