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arriva le soir pour souper avec le Roi. Le lendemain, Marie-Antoinette, n’ayant pas encore tous ses équipages qui étaient en route, fit une promenade de trois heures à pied dans le parc et les environs du château. Accompagnée de M. de Marigny et des architectes des Bâtimens, elle se fit expliquer les diverses époques de la construction depuis les anciens rois jusqu’au roi régnant, et ses guides s’émerveillèrent d’être aussi gracieusement interrogés. Les jours suivans ce furent, les après-midi, des parties d’âne dans la forêt, les parades de la Maison du Roi, la chasse suivie en calèche avec Mesdames ; le soir, le spectacle ou le jeu tantôt chez Mesdames, tantôt chez la Dauphine. Mme du Barry ne se montra que de loin. Le duc de Choiseul travaillait comme d’habitude avec le Roi, venait au conseil, était invité aux soupers ; quand il lui arrivait au jeu d’être le partenaire de la favorite, elle multipliait moqueries, haussemens d’épaules, « petites vengeances de pensionnaire », qui l’irritaient en amusant le Roi. Mais les regards agressifs s’avivaient d’un triomphe, d’autant plus inquiétant pour le ministre que la politique du royaume entrait dans une de ces périodes chargées d’orage où la foudre est dans l’air, prête à tomber.

Depuis que la Dauphine était à Versailles, elle avait entendu deux fois parler d’une grande cérémonie présidée par le Roi et qu’on appelait un lit de justice. On avait attaché beaucoup d’importance autour d’elle à cette cérémonie, une des plus solennelles du gouvernement. Si elle interrogeait Mesdames à ce sujet, elle apprenait qu’il s’agissait de mettre à la raison des sujets rebelles qui, parce qu’ils portaient des robes rouges fourrées d’hermine, prétendaient contrôler les ordres de Sa Majesté. Cette prétention lui semblait sans doute un grand crime, mais elle ne pouvait s’empêcher de trouver étrange que ce Parlement de Paris tant décrié se montrât précisément, dans l’occurrence, l’adversaire acharné de M. d’Aiguillon, en soutenant la condamnation portée par le Parlement de Bretagne contre les exactions du protégé de la du Barry ; comme on disait de plus, assez ouvertement, que M. de Choiseul dissimulait seulement par convenance sa sympathie pour l’assemblée qui l’avait servi contre les Jésuites, la Dauphine cessait de comprendre des affaires aussi embrouillées. Rien dans son éducation ne pouvait l’y aider : jamais on n’eût pu voir, dans les royaumes de sa mère, une réunion de magistrats tenir en échec les décisions souveraines par un refus de les enregistrer ; jamais, d’autre part, M. de Kaunitz ne se fût mis dans le cas d’être accusé de soutenir et de fomenter telle rébellion. C’était pourtant ce que M. de Richelieu avait reproché en face à M. de Choiseul, en plein Compiègne, à propos d’un voyage fait dans le Midi par