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le ministre. Quand Mme du Deffand raconte à Walpole : « Il n’y a qu’une voix sur Madame la Dauphine ; elle grandit, elle embellit, elle est charmante », c’est l’opinion générale qu’elle se plaît à enregistrer. L’écho de ces succès arrivait à Vienne et eût consolé Marie-Thérèse, si des voix discordantes ne se fussent élevées, déjà malveillantes et venimeuses : « On débite ici, écrivait-elle dès la fin d’octobre, tout plein de choses peu favorables à ma fille ; on dit que le Roi devient réservé et embarrassé avec elle, qu’elle heurte de front la favorite, que le Dauphin est pire que jamais et plus qu’indifférent pour ma fille. » Et l’Impératrice faisait dire à Marie-Antoinette de ne pas se laisser griser par ses heureux débuts et qu’il était plus difficile, dans un pays comme la France et une cour comme Versailles, de durer que de réussir.

Ces premiers mois de mariage donnaient à la Dauphine une fête continuelle de curiosité et de mouvement. C’était devant ses yeux un perpétuel changement de décor que ces visites à toutes les résidences royales ou princières, qu’ennoblissaient les arts de sa patrie nouvelle à leur moment de raffinement le plus exquis. Le prince de Condé, qui avait sollicité l’année précédente la visite de Mme du Barry, avait invité le Roi à s’arrêter encore à Chantilly en quittant Compiègne, et Marie-Antoinette s’était montrée joyeuse de voir cette demeure illustre qui tenait, dans l’histoire de France qu’elle avait apprise, à peine moins de place que Versailles même. Mais la Cour se souciait moins qu’elle des bosquets de Sylvie et des souvenirs du vainqueur de Rocroy : « Presque tout le monde reviendra dimanche de Compiègne, écrit Mme du Deffand, le Roi ira le mardi à Chantilly avec madame la Dauphine, Mesdames et les dames de leur suite, Mme du Barry et sa suite. Il en pourra résulter quelque événement, c’est-à-dire quelque lettre de cachet. » On pouvait même craindre des froissemens plus graves qu’entre dames, car la favorite allait vivre pendant deux jours avec la famille royale. Les fêtes heureusement multipliées évitèrent les occasions de choc. La Dauphine ne fut pas une seule fois dans le cas de parler à Mme du Barry ; le Roi fut plein d’attentions pour elle ; c’était lui, semblait-il, qui faisait à l’archiduchesse les honneurs de Chantilly. Le prince de Condé avait du reste en tête divers soucis et se montrait auprès de Mme du Barry d’un empressement qui donnait à penser à quelques personnes.

Au retour à Versailles, ce fut une autre journée de fêtes à Chilly, chez la duchesse de Mazarin, puis la prise d’habit de Madame Louise au Carmel de Saint-Denis, où Marie-Antoinette présenta le scapulaire et le manteau. Enfin on pensa au voyage de Fontainebleau. La famille royale, partie de Versailles le matin,