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flatteuse, complimenteuse, un peu sotte au demeurant, et, de cette très honnête personne, il n’y avait rien à tirer que les enseignemens de l’étiquette. Parmi les dames de sa maison, la duchesse de Chaumes était trop légère, malgré son âge, la princesse de Chimay trop sérieuse, et les autres tenaient plus ou moins leurs fonctions de La Vauguyon ou de la favorite.

L’isolement la rapprochait de Mesdames, les bonnes tantes que lui recommandait le Dauphin. Sa mère aussi ne lui avait-elle pas dit : « Ces princesses sont pleines de vertus et de talens ; c’est un bonheur pour vous ; j’espère que vous mériterez leur amitié. » Parole excessive, conseil imprudent que Marie-Thérèse, mieux informée, ne tardera pas à regretter et qu’elle cherchera en vain à reprendre. Pendant dix-huit mois, par dégoût du mal révélé, par besoin croissant d’un reflet au moins de la tendresse maternelle, la Dauphine appartiendra à Mesdames de France.

On la vit arriver avec joie. Le caractère impérieux de Madame Adélaïde avait asservi entièrement Madame Sophie et guidait, au moins pour les petites choses, la bonne Victoire. C’était chez elle, au rez-de-chaussée qu’avait occupé Mme de Pompadour, que se réunissaient les sœurs et que se tenait leur petit cercle. Le Roi y descendait chaque matin, ou le soir au retour de la chasse. L’entretien était insignifiant, tout en niaiseries, car il n’aimait pas les sujets sérieux, et Mesdames, du reste, n’osaient les aborder avec lui ; elles préféraient écrire, fût-ce pour une nomination ou une faveur quelconque ; et le père, qui allait les revoir une heure après, répondait de la même façon. Le nom de Mme du Barry n’était jamais prononcé en sa présence ; à peine sorti, on ne parlait que d’elle et des intrigues de ses partisans. M. de Choiseul ne dédaignait pas de venir faire, de temps en temps, sa cour à Mesdames, qui l’accueillaient maintenant après l’avoir tant détesté, réunies à lui dans une communauté de haine. Dans le cercle, une femme menait la conversation, intelligente et hautaine, très sûre des usages, très âpre à soutenir les manies de préséance de Madame Adélaïde, dont elle était dame d’atours ; c’était la comtesse de Narbonne, qui avait un fils à pousser dans le monde et se sentait prête à tout pour ses intérêts maternels. Si Madame Adélaïde menait ses sœurs, Mme de Narbonne, avec sa décision et sa souplesse, menait Madame Adélaïde. Elle mettait quelque passion dans ce clan aigri de vieilles filles inoccupées, timides et irritables, qui vivaient de futilités gourmées et de médisances.

Tel était le milieu où Marie-Antoinette se mit à vivre, faute de mieux trouver dans sa nouvelle famille. Mesdames, qui aimaient à jouer aux mamans avec leurs petites-nièces Clotilde et