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roi. Il ne s’y trouverait, ajoutait-il, aucune consolation pour un prince honnête et désireux avant tout de faire son devoir, s’il n’y avait Mesdames, qui avaient connu son père si généreux, sa mère si sainte, et qui étaient, selon lui, femmes d’expérience et de bon conseil.

Quand le Dauphin eut fini, Marie-Antoinette parla à son tour. Il était bien fâcheux que le roi eût été entraîné à cette liaison qui mettait tant de désordre à la Cour : mais ne pouvait-on croire que tout cela s’était tramé pour amener le renvoi de M. de Choiseul ? C’était la première fois qu’elle prononçait devant son mari le nom du ministre qui avait négocié son mariage et que, de longue date, elle s’était accoutumée à considérer comme son bon génie en France. Au nom de Choiseul, le Dauphin se rembrunit. La Dauphine ne sait donc pas ce qu’est M. de Choiseul, ni ce qu’il a fait pour arriver au poste qu’il occupe ? Lui aussi a intrigué par le canal d’une favorite ; tout ce qu’il est, il le doit à ses bassesses pour Mme de Pompadour. Le prince ne disait pas tout ; peut-être lui revenait-il à la pensée, outre ce qu’il avait pu deviner de la haine de Choiseul pour son père, tant de calomnies abominables insinuées à son oreille par La Vauguyon, dans les longues causeries de l’éducation. La Dauphine sentit combien le sujet était épineux et que ces préventions étaient plus profondes qu’on ne le lui avait dit. Elle ajouta simplement qu’on attribuait des talens au ministre et qu’on l’estimait dans les pays étrangers ; s’il avait intrigué avec Mme de Pompadour, cela ne pouvait se comparer aux horreurs présentes qu’elle remerciait son mari de lui faire connaître[1].

C’est le lendemain de cet entretien que Marie-Antoinette écrivait à sa mère son jugement sévère sur Mme du Barry et sur une « impertinence » qu’elle n’avait pas pu remarquer elle-même. Elle ajoutait : « Pour mon cher mari, il est changé de beaucoup et tout à son avantage. Il marque beaucoup d’amitié pour moi, et même il commence à marquer de la confiance. » Du même jour, le sauvage garçon, qu’il lui était permis d’aimer enfin, avait gagné son cœur d’épouse et détruit ses illusions sur les hommes.


Hors le Dauphin, qui n’était aussi qu’un enfant et qui n’était pas de caractère à renouveler souvent ses confidences, Marie-Antoinette n’avait autour d’elle personne à qui se fier dans les circonstances nouvelles où la plaçaient ses découvertes. La femme mûre qu’on avait mise auprès d’elle comme son mentor, la comtesse de Noailles, avait le mérite de ne pas intriguer, mais était

  1. Cet entretien décisif, confié par Marie-Antoinette à Vermond, est facile à reconstituer par les lettres VI, VIII et IX du recueil d’Arneth-Geffroy.