Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/410

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’aimable princesse qui venait ramener un peu de jeunesse et de vie dans le milieu longtemps assombri de sa famille. Le château où on avait conduit Marie-Antoinette, quelques jours après le mariage, était fort petit ; toute la famille royale y vivait réunie, un peu à l’étroit, et si le Roi avait fait choix de cette résidence, ce n’était pas seulement pour distraire l’archiduchesse de ses regrets de fille et de sœur, mais encore pour voir de plus près et à chaque instant sa nouvelle petite-fille et l’habituer à fréquenter la favorite.

Avec Louis XV, tout allait bien ; l’enfant avait cette gaieté spontanée qu’aucun souci grave n’avait altérée, un besoin irrésistible d’aimer, de plaire, d’enthousiasmer, un désir d’être joyeuse qui s’épanouissait au premier rayon. Mise à l’aise par des bontés paternelles, par les attentions que le Roi charmé multipliait, elle se laissait aller à de naïfs sentimens de reconnaissance ; elle lui disait « mon papa » et lui sautait au cou. Mais près de Mme du Barry, cette femme d’un ton si différent des autres personnes de la Cour et si familière avec le Roi, Marie-Antoinette se sentait une gêne d’instinct et de répulsion. En vain la folâtre comtesse, qui savait endosser le respect en même temps que le grand habit, se montrait avec elle d’une déférence aisée, d’une prévenance toujours en éveil ; cette charge mystérieuse, qui n’avait pas d’équivalent à la cour de Vienne et dont on ne parlait autour d’elle qu’avec des moues et des réticences, lui inspirait une défiance, une hostilité qui s’irritait de l’inconnu. Les trois Mesdames, ses nouvelles tantes, les seules personnes de la famille royale dont l’exemple put guider son inexpérience, n’adressaient jamais la parole à Mme du Barry, évitaient de la regarder, de s’approcher d’elle et, en présence même de leur père, prenaient des mines effarouchées au moindre propos d’une dame de sa société particulière.

Du Dauphin, semble-t-il, aucun conseil à tirer : c’est un esprit taciturne, sauvage, qui a l’air d’obéir aveuglément à M. de la Vauguyon, son gouverneur, et comme il ne parle jamais à aucune femme, il ne marque pour Mme du Barry nulle sorte de sentiment. L’abbé de Vermond et M. de Mercy, admis librement auprès de la Dauphine par égard pour l’Impératrice, n’ont pas cru lui devoir un conseil particulier sur le cas qui la préoccupe ; ils ont simplement déclaré que Son Altesse Royale devait traiter également bien toutes les dames présentées à Sa Majesté, sans tenir compte des rivalités ou des antipathies qu’on pourrait lui faire connaître. Faute de mieux, Marie-Antoinette a suivi d’abord cet avis un peu vague. Elle a été naturelle, c’est-à-dire aimable ; elle n’y a point eu de peine dans ce milieu nouveau où tout lui sourit. Le Roi en a été enchanté, et Mme du Barry, qui zézaye avec grâce dans la