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Marie-Antoinette, on ne parlait que de Mme du Barry ; c’est un soulagement pour beaucoup d’honnêtes gens de pouvoir songer, en se tournant du côté de Versailles, à une figure sans souillure, à une jeune et pure image qui laisse place à tous les rêves, à tous les espoirs des bons citoyens. On se met à voir dans l’enfant venue d’Allemagne, étrangère à toutes les intrigues et d’une grâce accueillante et fière qui gagne les cœurs, la contradiction vivante de la favorite. La politique aidant, la Dauphine prenant Choiseul en amitié et en aversion Mme du Barry, les esprits se groupent naturellement autour des deux noms féminins que la Cour leur offre, et ce choix d’étendard semble bien d’accord avec les mœurs de ce siècle où règne la femme. C’est ainsi que Marie-Antoinette, ignorante des choses de France et peu soucieuse de politique, devient presque sans le savoir l’idole de la nation ardente et sentimentale qu’elle est appelée à gouverner. Un danger sortira pour elle de cet excès même : elle aura été jetée trop tôt, par les circonstances, dans la lutte des partis, elle aura semé, Dauphine encore, la rancune à côté du dévouement, et tous ces germes divers lèveront un jour autour de son trône.


I

Mme du Barry entre, dès les premiers jours, dans la vie de Marie-Antoinette. Aux plus anciennes lignes conservées de la correspondance avec Marie-Thérèse, on lit ce nom qui y reparaîtra si-souvent : « Le Roi a mille bontés pour moi, et je l’aime tendrement, mais c’est à faire pitié la faiblesse qu’il a pour Mme du Barry, qui est la plus sotte et impertinente créature qui soit imaginable. Elle a joué tous les soirs avec nous à Marly ; elle s’est trouvée deux fois à côté de moi, mais elle ne m’a point parlé et je n’ai point tâché justement de lier conversation avec elle ; mais quand il le fallait, je lui ai pourtant parlé. » Et dans la même lettre : « J’ai écrit hier la première fois au Roi ; j’en ai eu grand’peur, sachant que Mme du Barry les lit toutes, mais vous pouvez être bien persuadée, ma très chère mère, que je ne ferai jamais de faute ni pour elle, ni contre elle. » On verra ce que va peser dans l’avenir cette très sage résolution.

Le séjour de Marly était difficile pour la jeune Dauphine et plein de petites embûches pour sa candeur. Tous les yeux étaient fixés sur elle, et chaque regard demandait comment elle allait se comporter envers une femme de qui ni son âge ni son éducation ne lui permettaient de se faire une exacte idée. Louis XV surtout était impatient de s’assurer qu’il n’y aurait pas discordance d’humeur entre la favorite devenue nécessaire à ses habitudes et