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des musiques jouaient des marches funèbres. Quand le corbillard passa, toute cette multitude, catholiques et protestans, socialistes et révolutionnaires, s’agenouilla ou s’inclina. On eût dit que, pour un jour, par-dessus ce cercueil où dormait un grand serviteur du Christ, les deux mondes, entre lesquels notre civilisation matérialiste et mercantile a creusé un abîme, se tendaient la main en pleurant et se réconciliaient dans un deuil commun.

Telles furent les obsèques d’Henry Edward Manning, cardinal prêtre de la sainte Église romaine, du titre des saints Grégoire et André sur le mont Cœlius, archevêque de Westminster, primat d’Angleterre. Notre siècle en a sans doute vu de plus pompeuses : il n’en a pas vu de plus émouvantes. C’était vraiment tout un peuple qui les faisait. Manning n’a pas besoin d’autre oraison funèbre.

J’ai essayé de dire sa vie : ce long effort vers la vérité, ce sacrifice héroïque de tout ce qui est cher à l’homme, cette passion de certitude qui le jeta aux pieds de l’Église infaillible et, dans cette Église, aux pieds du vicaire de Jésus-Christ, gardien incorruptible du dépôt de la foi. J’ai essayé de dire aussi cette noble tentative pour ramener l’humanité à l’Église et pour rendre à l’Église conscience de sa mission d’affranchissement, de consolation et de salut pour les sociétés comme pour les individus. Devant cette grande figure, faite d’austérité et d’amour, d’ascétisme et de charité, devant la mémoire de cet homme qui a aimé le pouvoir, mais pour le consacrer au plus noble des emplois, le mot qui monte involontairement aux lèvres pour résumer toute cette histoire, n’est-il pas celui de l’Écriture : Ecce sacerdos magnus ; voilà une âme vraiment sacerdotale ?


FRANCIS DE PRESSENSE.