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qu’il se mît en communication avec les ministres et les landlords au lieu d’aller droit au peuple et de consulter les députés nationalistes, le clergé patriote et les évêques. Il soutint de tout son pouvoir à Rome la cause de l’archevêque Gibbons, de Baltimore, accusé de favoriser le socialisme et de se montrer trop indulgent pour les Chevaliers du Travail. Enfin et surtout il joua un rôle décisif dans la grande grève des Docks de Londres, aux mois d’août et de septembre 1889.

Cet épisode de la guerre du travail et du capital avait une haute importance. C’était la mobilisation de la couche inférieure des classes ouvrières, de cet unskilled labour resté jusqu’alors en dehors des cadres du trade-unionnisme. Avec ces élémens, il y avait lieu de craindre que, dans l’atmosphère surchargée d’électricité de Londres, la grève ne dégénérât en une vraie guerre civile. Par bonheur les ouvriers des docks avaient pour chefs des hommes de tête, Burns, Mann, Tillett, et ils leur obéissaient avec une admirable discipline. Ce ne fut que seize jours après l’inauguration de la lutte que le cardinal fut appelé à s’associer aux efforts qui étaient tentés en vue de la conciliation. Dans une entrevue avec les directeurs, il les supplia de céder sur la question de salaire au nom de leurs intérêts, de l’imminence d’une révolution, et surtout des souffrances des pauvres. Un comité fut formé sous la présidence du lord-maire, où siégèrent le cardinal, l’évêque anglican de Londres qui ne tarda pas à répudier de trop lourdes responsabilités, M. Sidney Buxton et quelques autres. Ce fut sur Manning et Buxton que retomba tout le poids des négociations. Convaincus de la justice des principales revendications des grévistes, ils s’employèrent avec une rare énergie à obtenir de larges concessions des administrateurs. Un compromis fut suggéré : les ouvriers devaient obtenir le taux de salaire qu’ils demandaient, — le fameux tanner, ou 60 centimes par heure ; — mais le nouveau tarif ne devait entrer en vigueur que le 1er mars 1890, c’est-à-dire après un délai de six mois. Burns et Tillett déclarèrent qu’il serait impossible de faire accepter à leurs camarades une pareille attente, Manning se fit fort d’obtenir des directeurs la date du 1er janvier. C’était la dernière limite des concessions de ceux-ci. Il s’agissait de faire sanctionner la transaction par les grévistes, qui accusaient déjà leurs chefs de trahison. Le cardinal, accompagné de M. Buxton, se rendit au quartier général des Dockers, dans le quartier populaire de Poplar. Une réunion se tint dans la salle d’école de l’église catholique de Kirby Street. L’auditoire était houleux. Tous ces grévistes goûtaient pour la première fois aux fruits de la solidarité. Ils se croyaient sûrs de la victoire. Leur demander d’attendre plus de trois mois le résultat sonnant et