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et leur origine biblique. Ce n’est pas la première fois que l’Ancien Testament est responsable d’une transformation de ce genre : Voltaire ne disait-il pas irrévérencieusement d’un prophète dont les socialistes de nos jours auraient peine à égaler le franc parler : « Ce gaillard d’Amos est capable de tout » ?

Parmi les nouveaux sentimens que Manning puisa dans sa nouvelle religion, il faut placer en première ligne son amour pour l’Irlande. Il commença par vénérer en elle l’île des saints et la terre des martyrs, arrosée du sang que l’Angleterre, associant l’esprit de persécution à l’esprit de domination, y a fait couler à flots. Bien qu’il eût dénoncé le fenianisme, ainsi que toutes les sociétés secrètes, comme un péché, il ne tarda pas, dans ses relations quotidiennes, intimes et familières avec une race qui formait l’immense majorité de son troupeau, à s’éprendre pour elle de cette affection à la fois enthousiaste et compatissante que les Irlandais n’ont jamais manqué d’inspirer à qui les connaît. Le premier parmi les Anglais, il adopta dans son for intérieur l’idée du home rule, c’est-à-dire de l’autonomie limitée, comme la solution d’un problème peut-être insoluble. Quand Gladstone se rallia en 1886 à une politique qu’il avait loyalement combattue tant qu’il avait pu croire au succès de la seule alternative acceptable pour un libéral, c’est-à-dire delà réalisation d’un programme de réformes organiques, Manning se rapprocha de son ancien ami, avec lequel il était resté en froid depuis leur polémique sur le vaticanisme. Les Irlandais des grandes villes l’adoraient. A la fête annuelle de saint Patrick, dont il avait fait le patron d’une trêve des buveurs, destinée à arracher quelques victimes à l’alcoolisme, le nom de l’archevêque était acclamé. Le jour où il célébra le jubilé du vingt-cinquième anniversaire de son épiscopat, tous les députés nationalistes irlandais, protestans et catholiques, Parnell, un hérétique, en tête, vinrent lui offrir leurs congratulations à l’archevêché. Cette démarche fut un sujet d’affliction pour tous ces catholiques, — et ils sont nombreux en Angleterre comme ailleurs, — qui n’ont pas su distinguer la cause de Dieu et de l’Eglise de celle de l’ordre social, du conservatisme politique et de la légitimité. Il est vrai que dans ses dernières années Manning leur donnait tant de sujets de scandale qu’un de plus n’importait guère. Volontiers aurait-on mis ces incartades du cardinal sur le compte de l’âge et de l’isolement où il se confinait de plus en plus ; mais l’allure pleine de vigueur de Manning quand il officiait, l’éclat de son regard d’aigle, la majesté de son air, l’infatigable verve de son esprit interdisaient ces allusions perfides à l’apoplexie de l’archevêque de Grenade. En fait, le cardinal réservait à ses détracteurs une bien plus désagréable surprise. Il