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la vie, l’un cardinal-archevêque de la sainte Église romaine et ultramontain, l’autre protestant intraitable et tout plein d’une indignation biblique contre la grande prostituée de Babylone, se tendre la main et communier ensemble au nom de cet amour de l’humanité dont la religion du Christ a fait la charité. Tous deux conservateurs d’origines, de position, d’instinct, d’esprit, ils contractèrent l’un et l’autre au contact de ces réalités un socialisme sui generis contre lequel s’émoussèrent, impuissantes, les démonstrations de l’économie politique. Personne n’ignore la part glorieuse qu’a prise lord Shaftesbury à la législation protectrice de l’enfance et du travail. Il me reste à dire ce que fut, dans cet ordre, l’activité de Manning.

Son humeur, les circonstances aussi, l’avaient longtemps tenu, après son abjuration, à l’écart des associations non confessionnelles. En 1871, il fut appelé à siéger dans le comité qui avait été formé à Mansion-House pour venir en aide aux besoins de Paris, après le siège. Ce fut son début. Depuis lors il n’y eut guère d’œuvre philanthropique ou moralisatrice, en dehors du terrain sur lequel les Eglises rivales déploient leurs drapeaux, où l’archevêque de Westminster ne fût membre-né. Le spectacle était curieux et instructif de voir l’accueil fait, le rang accordé à ce prince de l’Eglise romaine dans un pays tout protestant et où la loi, la veille encore, ne connaissait le prêtre catholique que pour le frapper d’incapacité civile et politique. Personnellement, Manning ne se souciait guère de ces hommages : il n’y attachait de prix qu’à titre de précédens pour fixer la position de son successeur ou relever la condition de ses collègues. Il portait si loin ce sentiment de solidarité que, plus tard, quand les dernières barrières se furent abaissées devant lui et qu’il fut invité à la cour ou chez le prince de Galles, il n’accepta ces aimables attentions de la reine ou de l’héritier de la couronne qu’en tant qu’elles ne s’adressaient pas à sa personne, exceptionnellement, mais à sa dignité, et que ses frères en l’épiscopat en pourraient profiter. Une autre innovation fort grave, ce fut d’appeler ce cardinal-archevêque à siéger dans plusieurs de ces commissions royales auxquelles les gouvernemens anglais aiment à confier des enquêtes sur des sujets d’intérêt public. Manning fit partie avec le prince de Galles de celle qui étudia d’une façon si approfondie la question des logemens ouvriers et il y joua un fort grand rôle. Les ministres de la Reine eurent également recours à ses lumières en matière de législation contre l’intempérance. A toutes ces tâches surérogatoires qui s’offraient, il ne se croyait pas libre de se soustraire, d’abord et surtout à cause de leur utilité intrinsèque, puis aussi en vue du triomphe manifeste que sa seule