Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/393

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’archevêque et le diplomate se donnaient rendez-vous pour faire à pied une grande promenade dans la campagne. La conversation y touchait à tout, depuis les grands problèmes éternels jusqu’à ces bagatelles qui faisaient la pâture de ce que Louis Veuillot appelait les commères du concile. Manning y disait à son interlocuteur, et par lui à lord Clarendon ou à Gladstone, tout ce qu’il pouvait et devait leur dire. Ce fut un beau succès que de se faire un instrument docile et sûr du diplomate qui devait plus tard, à Berlin, jouer sans trop d’inégalité des parties serrées avec ce rude adversaire qui s’appelait Bismarck. L’activité dévorante de l’opposition était condamnée à l’insuccès, du moment que les gouvernemens, en qui elle avait mis son espoir, s’abstenaient. Dans le cabinet anglais, il avait fallu tout le crédit de M. Odo Russell auprès de son chef, lord Clarendon, pour contre-balancer dans l’esprit de M. Gladstone l’influence des conseils de sir John Acton, l’ami de Dœllinger et le grand meneur de la campagne de presse en Angleterre et en Allemagne, qui appuyait énergiquement la proposition d’intervention du cabinet de Munich. La France, d’abord tentée de faire jouer à Napoléon III le rôle d’héritier de Louis XIV, en faisant revivre le veto des couronnes, était absorbée par les graves préoccupations du plébiscite et de la politique étrangère. En vain la minorité se roidit, entretint au dehors une agitation menaçante, pratiqua au dedans une sorte d’obstruction, épuisa tous les moyens d’ajournement, fit parade du chiffre probable de ses voix, — qu’elle estimait à 140 ou 150, en ajoutant aux non placet les juxta modum, — tâcha enfin d’intimider la majorité en exaltant la force morale d’une opposition, composée pour plus de la moitié des évêques de France et d’Allemagne et recrutée parmi les gloires de l’Eglise. Il ne paraît pas que, dans les débats, cette supériorité un peu trop sûre d’elle-même ait éclaté sans conteste. Le cardinal Bilio mettait le discours prononcé, dans la discussion générale, par l’archevêque de Westminster au rang des harangues des Strossmayer et des Dupanloup. Manning lui-même disait finement : « Ils étaient sages : nous étions fous. Eh bien ! chose étrange, il s’est rencontré que les sages avaient toujours eu tort et les fous toujours raison. » Les événemens se précipitaient. Déçus dans l’espoir d’une intervention du pouvoir civil, et battus sur leur proposition de proroger le concile sine die, les évêques opposans quittaient Rome ou se décidaient à l’abstention. Le 14 mai 1870, la discussion générale s’était ouverte sur le schema de Romano Pontifice. Le 13 juillet, une majorité de 451 voix contre 88 non placet et 62 placet juxta modum adoptait en congrégation générale le chapitre sur l’infaillibilité pontificale et la juridiction immédiate du Saint-Siège. Le pape, supplié par