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membres du clergé anglican on y comptait quelques catholiques plus zélés qu’éclairés. Le Saint Office, consulté en 1864, avait condamné la théorie, chère aux partisans d’une sorte de fédération des Eglises, d’après laquelle il y a trois branches du christianisme : l’Église romaine, l’Eglise d’Orient et l’Église anglicane. Une protestation fut adressée au cardinal Wiseman, au saint-père lui-même. Manning n’ignorait pas que ce faux idéal de la réunion corporative, c’est-à-dire la négociation d’égal à égal d’une sorte de traité entre les Églises, est souvent le principal obstacle à la réunion individuelle, c’est-à-dire la soumission pure et simple à l’autorité légitime. De fait, quelques sophismes que masquent les formules édifiantes des champions de ce fédéralisme bâtard, il n’y a que deux conceptions possibles : celle de l’Église visible, une, infaillible, qui exige la soumission, — c’est celle du catholicisme ; celle de l’Église invisible ne réalisant jamais au dehors son unité, se contentant de la communion mystique des Ames, — c’est celle du protestantisme. Entre les deux se glisse la notion hybride de l’anglicanisme, qui emprunte au protestantisme son refus de reconnaître le droit divin du centre de l’unité et qui prend au catholicisme sa théorie de l’Église pour l’appliquer, non sans une usurpation manifeste, à la plus insulaire, à la plus locale, à la plus dépendante des Églises. Pour ces prétentions déplacées, Manning, qui en avait fait l’expérience, était impitoyable. Il déclarait tout net qu’une seule âme conquise valait mieux à ses yeux que tous ces clergymen si désireux de négocier. Le pape écrivit en quelque sorte sous sa dictée une réponse qui n’accordait pas même, de crainte d’encourager des illusions, le titre de Révérends à ces ecclésiastiques et Manning exposa la doctrine catholique dans sa lettre pastorale de 1866. Il y affirmait qu’il s’agissait non pas de rétablir l’unité de l’Église, — il n’y a qu’une Église, et les promesses du Christ lui ont garanti l’indéfectibilité de son unité aussi bien que l’immutabilité de sa foi, — mais de faire rentrer dans cette Église, seule digne de ce nom, tous ceux qui, en restant déjà séparés d’elle, commettent le péché de schisme. Cette rigueur déplut fort aux anglicans, surtout aux anciens amis de Manning.

Ils ne comprenaient pas cette attitude à l’égard d’une Église que Manning jugeait d’autant plus coupable qu’elle était plus près de la lumière et que ses faux semblans et ses beaux dehors retenaient plus d’âmes loin de la vérité. Manning en était venu à préférer de beaucoup l’état d’âme des sectes dissidentes, purement protestantes, à celui de l’anglo-catholicisme. Il estimait que les premières sympathies de l’Église devaient aller à ces millions errans çà et là comme des brebis sans berger, à ces classes qui forment le cœur de la nation anglaise, à ces âmes pour qui le Christ est mort, et