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quelque sorte les étapes d’une longue évolution, vinrent changer la face des choses.

La révolution française, en supprimant les collèges de Douai et de Saint-Omer, ramena le jeune clergé sur le sol natal pour s’y préparer au sacerdoce en même temps que l’exemple plein de dignité des prêtres français émigrés et le sentiment tout nouveau de la solidarité des Eglises et des aristocraties contre la puissance de destruction affaiblissaient le préjugé protestant et insulaire. L’émancipation des catholiques irlandais en 1828, l’invasion en coup de vent d’O’Connell et de ses barbares, c’est-à-dire de la démocratie et de ses procédés, dans le paisible bercail où le petit troupeau avait jusque-là brouté, sans s’écarter, des herbes un peu fades, inaugurèrent une ère nouvelle. Il y eut un catholicisme anglais auquel ne suffit plus la dédaigneuse tolérance accordée à une minorité inoffensive ; il eut conscience de la grandeur et de la force de son principe ; il porta la guerre dans le camp de l’anglicanisme officiel ou du protestantisme militant. Wiseman en fut le chef et le champion. Dans le même temps le mouvement d’Oxford, en remettant le catholicisme en honneur dans l’Eglise anglicane et en jetant dans l’Eglise catholique Newman, Faber, Ward, Oakeley, Dalgairn, Coffin, Manning, tant d’autres, transformait l’atmosphère morale. Une terre frappée de stérilité depuis trois siècles portait de nouvelles moissons, une tige desséchée se remettait à fleurir. Redevenue conquérante, l’Eglise releva la tête. Les nouveaux venus, exaltés par la lutte, n’avaient pas abâtardi leur courage dans une lâche oisiveté. Nulle tare exotique, nul accent réfugié ne les marquait. Ils ne croyaient pas que la conquête de la vérité, au prix des plus douloureux sacrifices, dût les exclure de l’arène des nobles combats.

Dans le catholicisme anglais, il y eut désormais deux catégories, deux classes, deux partis : les timides et les vaillans, les muets et les éloquens, les passifs et les actifs, les vieux et les nouveaux catholiques. Si le partage ne s’opéra pas toujours d’après les origines, s’il y eut des catholiques de la vieille roche parmi les ardens et des convertis, — l’un surtout, le plus grand de tous, — parmi les modérés, ce classement n’en fut pas moins en gros exact. Il était naturel que les anciens protestans fussent épris dans leur nouvelle Eglise de tout ce qui leur avait manqué dans l’ancienne, de l’autorité présente et visible, de l’infaillibilité vivante, de l’obéissance alerte et joyeuse. Si tous n’allaient pas aussi loin que Ward, qui aurait souhaité recevoir chaque matin, avec son journal, à l’heure de son déjeuner, une encyclique pontificale avec définitions dogmatiques, ils étaient du moins tous par vocation ce qu’il est convenu d’appeler des ultramontains. Un