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populaire, ni de foi dans les mystères du monde invisible.

Cet acte d’accusation formidable, Manning va le répéter sans cesse pendant cinq longues années. Il va reprocher à sa propre Eglise de manquer « d’antiquité, de système, d’intelligibilité, d’ordre, de force, d’unité. » Il va déplorer ces dogmes sur le papier seulement, ce rituel universellement abandonné, ce clergé et ces laïques profondément divisés. » Il va dire mélancoliquement : « Bien que je ne sois pas catholique romain, j’ai cessé d’être anglican. » Il va lutter contre lui-même, reprenant sans cesse l’examen de sa conscience, se demandant s’il n’est pas en butte aux artifices du tentateur, s’il ne doit pas se défier de lui-même, considérer que ceux qui sont jusqu’ici restés dans l’anglicanisme sont plus humbles que ceux qui l’ont quitté. En même temps, il est forcé de noter que « rien dans Home ne le repousse assez pour le tenir à l’écart, tandis que rien dans le protestantisme ne l’attire assez pour le retenir. »

Il s’écrie en juillet 1846 : « Le principal, c’est l’attraction de Rome, qui me satisfait tout entier, raison, sentiment, toute ma nature, tandis que l’Eglise anglicane n’est qu’un à peu près, et enclore n’est-elle cet à peu près que grâce aux supplémens et aux additions que nous lui apportons. » Il écrit ces mots curieux qui sont à la fois une protestation implicite et l’aveu d’une irrésistible séduction : « Le filet resserre ses mailles autour de moi. » Un peu plus tard : « Je sens comme si une grande lumière avait lui à mes yeux. Mon sentiment à l’égard du catholicisme romain n’est pas de l’ordre intellectuel. J’ai des difficultés intellectuelles, mais les grandes difficultés morales sont en train de fondre. Quelque chose surgit sans cesse en moi et me répète : Tu mourras catholique. » Inquiet sur son avenir, il se disait : « Comment saurais-je où j’en serai dans deux ans ? Où en était Newman il y a cinq ans ? Ne se peut-il pas que j’en sois au même point que lui ? » « D’étranges pensées lui rendaient visite », suivant son expression. A ses yeux, la théorie de l’école d’Oxford était en contradiction manifeste avec l’Occident et l’Orient. L’anglicanisme impliquait, d’un côté, des principes qui donnaient raison au protestantisme et que Luthériens et Calvinistes étaient en droit d’invoquer contre lui, d’un autre côté, des principes qui aboutissaient nécessairement au catholicisme. Tout le mouvement anglo-catholique reposait également sur une contradiction : il s’agissait de catholiciser l’Eglise, c’est-à-dire, pour quelques fidèles, d’être un moyen de grâce pour le moyen de grâce suprême, d’enfanter leur mère, d’employer la méthode individualiste du protestantisme pour restaurer le catholicisme. Enfin, malgré ces tentatives de