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avec abondance tous ses mépris et toutes ses ardeurs, et c’est même là ce qu’il y a de plus brillant chez lui ; tandis que M. de Liliencron se contente de les exprimer rigoureusement, joyeusement, mais sans s’embarrasser à en rechercher les causes, et sans jamais se demander s’il a raison ou tort d’être ce qu’il est.

La personnalité de M. de Liliencron s’était affirmée avec assez d’importance, et avait assez rapidement attiré sur lui l’attention des jeunes poètes, pour que l’on ne doive pas s’étonner de ce qu’un certain nombre d’entre eux aient déjà subi complètement son influence. Je ne m’arrêterai pas à ceux qui ne furent que ses imitateurs. Je me contenterai de rapprocher de son nom deux ou trois noms de poètes que ce rapprochement même servira à montrer d’une manière plus succincte sous leur vrai jour. M. Gustave Falke, descendant, comme M. de Liliencron, d’une vieille famille du nord de l’Allemagne, est peut-être celui d’entre eux dont le talent lui est le plus apparenté. Son livre Danse et Recueillement, a été accueilli par la critique allemande avec une faveur marquée. La personnalité de M. Falke, tout en s’y révélant assez semblable à celle de son chef de file, s’y montre pourtant en même temps un peu moins hautaine et moins volontaire. Mais la différence essentielle qui existe en eux, c’est que chez M. de Liliencron, c’est l’homme, — l’homme en général, et non précisément le poète, — qui parle ; tandis que chez M. Falke, ce n’est pas seulement l’homme, mais aussi l’artiste, qui apparaît à chaque instant. En même temps, le critique qui est en l’artiste surveille plus minutieusement l’expression, de telle sorte que M. Falke, quoiqu’il soit beaucoup plus jeune que M. de Liliencron, arrive souvent à donner l’impression d’une maturité plus grande.

Les Poèmes vécus, de M. Otto Julius Bierbaum, ont été dédiés par leur auteur à M. de Liliencron ; et c’était un peu là rendre au maître ce qui lui appartenait. La filiation est évidente, mais le poète n’est pas un simple imitateur, et il se montre digne de son aîné. M. Bierbaum est d’ailleurs un Allemand du sud ; et l’on sait qu’une différence de tempérament assez profonde sépare l’Allemand du sud de l’Allemand du nord ; or, puisqu’il s’agit ici de poésie individualiste, le meilleur éloge que l’on puisse faire de M. Bierbaum sera donc de dire que l’on reconnaît assez facilement son origine à ses poèmes. La forme, chez M. Bierbaum, est d’ailleurs plus libre, plus facile ; et l’on voit aussi que ses impressions sont plus légères, plus superficielles, en même temps que plus chatoyantes. Il fait parfois l’effet d’un enfant libre et gai qui nous raconterait les petits événemens de sa vie, un peu pêle-mêle, le bon avec le mauvais, et peut-être avec une prédilection