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l’opposition de ces deux tableaux ; et sans doute en effet peut-il frapper ainsi l’esprit de gens simples et déjà mûrs pour tirer de là l’unique conclusion que M. Holz attend manifestement qu’ils en dégagent : un cri de haine et de mort contre les riches et les puissans. Mais ce cri de haine, il n’y avait pas besoin des vers de M. Holz pour le faire proférer ; le dernier illettré et le dernier misérable venu pouvait tout aussi sûrement que lui, et même plus sûrement, atteindre au même résultat par n’importe quelle parole de violence sans art. Quant au lecteur impartial, il ne peut hésiter un seul instant à apercevoir tout le factice et tout le vide du poème et de l’effet qu’en a attendu l’écrivain. Sans doute M. Holz eût-il désiré sincèrement que guérît la pauvre femme du peuple dont il nous dépeint la triste agonie, et je ne doute pas que s’il eût pu aidera la sauver, il ne l’eût l’ait volontiers ; mais il apparaît assez clairement que le plus grand plaisir qu’elle eût alors pu lui faire c’eût été d’aller insulter aussitôt l’autre femme, la grande dame à la migraine. Ce n’est pas tant du pain qu’il désire voir distribuer aux affamés, que des pierres à jeter contre l’ennemi, contre « la bourgeoisie ».

Cependant la haine dont fait parade M. Holz est-elle bien sincère ? Elle s’exprime par trop de rhétorique, — une rhétorique assez riche, et de couleur chaude et abondante, mais très heurtée, — et elle se montre trop souvent mêlée d’ironie et de dédain, pour que l’on n’aperçoive pas souvent que c’est surtout à un brillant feu d’artifice que se complaît le poète. Et peut-être ce que je dis là le condamne-t-il encore plus que cela ne l’absout.

Un autre écrivain du même bord, mais chez qui nous trouverons des accens plus profonds et plus sincères, c’est M. Karl Henckell. Les tendances, dis-je, sont les mêmes, mais l’intelligence est plus nette, le sentiment plus vrai, le talent plus réel. M. Henckell a déjà publié six recueils de vers : Esquisses poétiques, Strophes, Appels de Merles, Diorama, le Hardi Rossignol et Intermède, dont quelques-uns lui ont valu d’être considéré en quelque sorte comme le poète officiel du parti socialiste allemand. En particulier ses deux livres : Strophes et Appels de Merles, qui parurent en un temps où les lois d’exception contre les socialistes n’avaient pas encore été abrogées, contiennent des poèmes d’une grande violence, mais aussi d’une exaltation dont la sincérité évidente et le tour passionné peuvent entraîner un instant le lecteur même le plus opposé aux sentimens du poète. Il est quelques-uns des lieds de M. Henckell que les hommes et les-femmes du peuple de Berlin aiment à se répéter, comme une sorte de mélopée harmonieuse qui dit à la fois leurs tristesses et leurs espérances, en même temps, hélas ! que la voie douloureuse