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était au contraire de rendre la vie à la « poésie subjective ». Mais au moins se trouva-t-il une autre partie de sa tâche qu’elle avait accomplie d’une manière pleinement consciente : ruiner la prépondérance injustement réservée depuis si longtemps aux partisans de la beauté toute formelle.

Quant au terrain d’action où devait se mouvoir l’art régénéré, on s’aperçut après coup qu’en croyant l’agrandir on l’avait au contraire restreint, mais que, par la force même des choses, il restait malgré tout infiniment trop étendu pour qu’il fût possible d’en apercevoir ni le commencement ni la fin, comme on s’était vainement flatté de le faire ; et qu’il pouvait donc continuer à embrasser les domaines les plus divers. L’esthétique réaliste, même mal comprise et mal appliquée, avait eu l’avantage, en aiguisant le regard devant le monde extérieur, de lui rendre par contre-coup plus de pénétration vis-à-vis du monde intérieur ; et la poésie en retira ce bénéfice de recommencer à sentir qu’elle ne peut vraiment être quelque chose de grand et de beau que dans la seule mesure où une impérieuse nécessité intérieure la commande et lui donne vie.

En dehors de toute conséquence littéraire ou scientifique, un des résultats immédiats, et d’ailleurs les plus attendus, de ces théories novatrices de la jeune Allemagne, fut la naissance de toute une littérature révolutionnaire. L’un de nos écrivains les plus perspicaces, M. Edouard Rod, qui connaît très bien l’Allemagne nouvelle, nous a déjà plusieurs fois signalé l’importance exceptionnelle de cette littérature au point de vue social, et il en a étudié avec une grande netteté de vue les diverses manifestations, aussi bien sur le terrain de la philosophie que dans la poésie, le roman et le drame. Je n’ai à parler ici que de la poésie, et je m’abstiendrai donc de toute incursion dans un autre domaine ; mais, pour qu’on aperçoive mieux le caractère de la poésie, que j’appellerai la poésie révolutionnaire, il était nécessaire de dire qu’elle ne se trouve pas être un phénomène isolé dans l’ensemble des nouvelles manifestations littéraires allemandes.

Nous avons vu que, pour M. Julius Hart, « être de notre temps » et penser et sentir « en harmonie avec notre temps », cela n’avait eu tout d’abord d’autre signification que celle-ci : être socialiste. Quand M. Hart réclamait une « poésie objective », cette expression signifiait évidemment avant tout dans sa pensée : une poésie socialiste. J’ai dit qu’il a travaillé dans une certaine mesure à la créer. D’autres y ont travaillé avec lui, et avec plus d’ardeur encore qu’il n’en avait montré lui-même.

Un des précurseurs les plus immédiats de cette phalange de