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arriveront-ils pas justement par tout ce que pourront leur ajouter la forme et la perfection de la forme, quoi que ce soit que l’on entende par ce mot de perfection et qu’il s’agisse de la richesse ou de la pureté de la langue, du coloris ou du dessin de la phrase, de la variété ou de la simplicité du rythme ?

Les Allemands n’avaient encore eu que leur école « parnassienne » sans avoir eu leur école « naturaliste » ; sinon les nouveaux poètes auraient su plus tôt quel proche degré de parenté pouvait unir ces deux écoles l’une à l’autre, et compris plus vite aussi que c’était ne presque rien changer que vouloir remplacer l’une par l’autre. Ce que leur passé littéraire immédiat ne leur montrait pas encore, ils devaient d’ailleurs l’éprouver bientôt, en constatant l’inanité absolue de toute tentative faite pour réaliser une œuvre lyrique appuyée sur ces principes. D’ailleurs, malgré les belles audaces des jeunes novateurs, il y avait en eux une force qui devait rendre vain tout effort de leur volonté théorisante ; et cette force n’était autre que celle de l’indomptable subjectivité qui est l’un des attributs les plus constans de la jeunesse. Mais posséder cette faculté, n’est-ce pas l’une des premières conditions pour être poète ? De par leur âge moine, les jeunes novateurs se trouvaient donc victorieusement armés contre tout ce que leurs théories contenaient en soi de faux et de caduc.

L’influence directe et pratique de M. Julius Hart sur ses compagnons de lutte n’a pas été et ne pouvait pas être considérable ; mais si M. Julius Hart n’a pas exercé, à proprement parler, un rôle directeur et prépondérant dans tout le mouvement nouveau, il n’en a pas moins été en quelque sorte un initiateur, et les théories qu’il a défendues ont été assez ardemment discutées pour qu’il y ait lieu de s’y arrêter un peu. On peut trouver le résumé de ses idées sur l’essence et le but de la nouvelle poésie dans la préface qu’il a publiée en introduction à l’un de ses recueils de vers, et qu’il a intitulée la Poésie lyrique de l’avenir. M. Julius Hart dit, dans cette sorte de manifeste : « Nous sommes à l’aurore d’une ère de poésie nouvelle et toute spéciale, que nous qualifierons tout simplement de poésie réaliste, quoique nous sachions bien que cette expression ne correspond pas exactement à ce qu’il s’agit de définir, et qu’elle est en son genre tout aussi arbitraire que le fut l’expression de poésie romantique. Nous demandons à la nouvelle poésie qu’elle soit l’expression des façons de penser ou de sentir particulières à notre temps, qu’elle soit l’incarnation de la nouvelle conception du monde fondée sur les acquisitions intellectuelles, politiques et sociales, dont nous sommes redevables à notre siècle. Nous pensons et nous sentons autrement, nous voyons le monde avec d’autres yeux que