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parti contre les « vieux », les « parnassiens », demandant qu’on en finît une fois pour toutes avec le beau mensonge de la forme, pour en revenir à la nature et à la vérité. Les paroles des frères Hart eurent quelque retentissement… parmi les jeunes poêles, et c’était déjà beaucoup. On répéta volontiers pendant quelque temps que la poésie lyrique elle-même devait se soumettre à l’esthétique réaliste. Un heureux instinct, sans doute, empêcha que l’on précisât trop en quoi devait consister au juste cette soumission. Il s’agissait avant tout de ruiner le culte exclusif de la forme. Ce qui s’ensuivrait apparaissait encore moins nettement.

En Allemagne, cependant, l’on témoigne d’ordinaire d’un goût trop prononcé pour les formules d’aspect scientifique, pour qu’il restât longtemps possible de ne pas essayer de définir l’essence même de la nouvelle poésie. Parmi les différentes combinaisons que nos voisins aiment à faire des mots idéalisme et réalisme avec les mots subjectivisme et objectivisme, il y avait encore une combinaison moins usée que les autres, et dont jusque-là on ne s’était guère avisé de se servir en traitant de la poésie : on s’empressa de réparer cet oubli, et l’on déclara que la poésie lyrique devait désormais reconnaître pour loi le « réalisme objectif. » C’était bien là dire la chose la plus dénuée de sens qu’il soit possible d’imaginer ; et il est à peine besoin d’insister pour faire remarquer quelle antinomie absolue il y a entre ces deux termes de poésie lyrique et de réalisme objectif.

Sans doute l’on peut, et l’on doit même très bien admettre, avec Kant, qu’ « il existe en poésie deux genres de beauté : l’un, relatif au temps et à cette vie ; l’autre, plus soucieux de l’éternel et de l’infini. » Mais, de ce que le mot poésie ne signifie pas qu’il faille s’abstraire de la vie et du temps présent, il ne s’ensuit pas que représenter la vie et le temps présent d’une manière purement objective soit de la poésie. Cette tâche serait même tout l’opposé de ce que nous avons l’habitude de désigner par le mot poésie, et surtout par le mot lyrisme. S’en tenir à un réalisme purement objectif, ce serait, par exemple, faire de la description, montrer des objets ou des paysages, ou encore raconter des événemens, ou bien tâcher à exprimer ses sentimens avec les mêmes expressions et les mêmes images courantes dont on se sert dans la réalité, ou bien répéter, comme le ferait un phonographe, les paroles qu’auraient pu dire telles ou telles personnes dans des situations et des momens importans de leur vie… Mais qu’a donc tout cela de commun avec l’art de la poésie lyrique ? En supposant que la description ou le récit, par exemple, sans appartenir directement au lyrisme, puissent être du domaine de la poésie, n’y