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La personnalité de Storm est plus douce, plus fuyante, non moins vive, mais plus lointaine. Storm fut un homme dont la vraie patrie était le rêve, en qui vivait une toute frémissante aspiration à l’harmonie, et ses poésies sont le reflet de sa vie, une sorte d’autobiographie de son âme. Il a écrit des poèmes d’une très grande profondeur de sentiment, un peu mystérieux, émus, douloureux ; et il est certainement, dans cette époque de transition, le poète qui s’est trouvé le plus souvent sur le vrai domaine de la poésie lyrique.


I. — LA POÉSIE RÉALISTE

Ces noms de Keller, de Fontane et de Storm étaient déjà anciens, et l’art de la poésie semblait, plus encore que précédemment, traverser une période de profond sommeil, lorsqu’une sorte de renouveau vint enfin réveiller l’attention, sinon du grand public, tout au moins du public lettré.

On sait que vers 1880 un certain nombre de jeunes gens, en Allemagne, frappés du succès retentissant que venaient d’obtenir en France M. Emile Zola et son école, conçurent aussitôt l’idée de doter leur pays d’une école semblable. D’ailleurs ils ne se contentèrent pas d’un seul maître, et ils étudièrent aussi passionnément Tolstoï. Un peu plus tard, ce fut le tour des dramaturges, qui furent réalistes comme leurs camarades les romanciers, et en même temps, à la suite d’Ibsen, un peu symbolistes, moralisans et réformateurs.

Dès le premier appel au combat contre les anciens, des poètes se trouvèrent qui prirent part au mouvement de toute la jeune génération. Ils ne cherchèrent pas, comme les romanciers et les dramaturges, quelque grand nom venant du dehors et sous la bannière de qui se ranger ; mais peut-être justement à cause de cela furent-ils moins longtemps, sinon à prendre nettement conscience de ce qui devait être leur tâche propre, mais tout au moins à accomplir cette tâche. Ils s’épargnèrent ainsi en partie les soubresauts et les transformations par où a déjà passé la nouvelle école réaliste allemande dans les deux autres ordres de production. Ne se réclamant d’aucun modèle, ils eurent tout au moins l’avantage de n’être pas tentés d’imiter personne, et de rester ainsi plus près de la source même d’où toute poésie doit naître, plus près de l’impression directe, de l’idée spontanée, du sentiment personnel.

C’est cependant au nom du réalisme que s’engagea la bataille. MM. Julius et Heinrich Hart publièrent, en 1882, six cahiers d’Assauts critiques, où, avec la dernière énergie, ils prirent