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la Fédération ouvrière, qui avaient toutes deux leur siège place de la Corderie. C’est là que les meneurs de l’une et de l’autre se réunirent, le 4 septembre, de six à dix heures du soir.

Il y fut décidé qu’on n’attaquerait pas le gouvernement provisoire « attendu le fait de guerre et aussi le peu de préparation des forces populaires encore organisées. » Ce n’était qu’une trêve, et comme condition on décida qu’on réclamerait « d’urgence » :

« La suppression complète de la préfecture de police et l’organisation de la police municipale ; la révocation immédiate de la magistrature impériale ; la suppression de toutes les lois restrictives, pénales ou fiscales concernant le droit de réunion ou d’accusation ; l’élection immédiate de la municipalité parisienne. »

Ces vœux étaient de style dans la tradition révolutionnaire. La nouveauté ici fut que l’assemblée ne se contenta pas de les adresser à l’Hôtel de Ville. Elle décida de créer sur-le-champ une organisation qui absorbât dans son unité les anciens groupes, étendît cette unité sur tout Paris et, soit pour les élections, soit pour l’émeute, pût donner le mot d’ordre au prolétariat tout entier. Il fut résolu que dans chaque arrondissement seraient choisis des délégués, et que ces délégués réunis formeraient un Comité central. Dès le 4 septembre était prononcé le mot et créée la force qui devait se relever le 18 mars.

Paris cependant, insoucieux des lendemains, célébrait la chute du régime déchu. On eût dit un soir de fête. Ceux qui avaient assisté aux révolutions de 1830 et 1848 reconnaissaient le même sentiment de délivrance, la même douceur de mœurs, la même gaieté. Mais en 1830 et en 1848 la France n’était pas vaincue, et nul ne semblait penser qu’elle fût envahie en 1870. Sans doute c’était bien la colère des défaites qui avait renversé l’Empire, mais maintenant ce peuple mobile, tout à la joie de la chute, en oubliait la cause. Sans parler de ceux qui au fond de leur cœur bénissaient la défaite d’avoir détruit la servitude, la multitude s’amusait à la chasse aux emblèmes impériaux, se parait de cocardes, et oubliait l’ennemi.

Durant cette journée du 4 septembre, les armées allemandes, reposées de leur victoire à Sedan, avaient repris dès le matin leur marche et fait leur première étape vers Paris.


ETIENNE LAMY.