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aussi le seul pour lequel une compétition ouverte et âpre se déclara : double preuve qu’aux yeux de ces politiques il était la pièce maîtresse. Gambetta l’avait pris, Picard le désirait, et à la rivalité de personnes se joignait une divergence d’idées que Picard exposa nettement. Il y avait à choisir, dit-il, entre deux politiques : ou, pour rendre plus efficace la défense nationale, confier les charges publiques à des hommes résolus à ne songer qu’à elle, et comprendre que cette renonciation à l’égoïsme de parti, serait le titre principal de la République à la gratitude de la France ; ou, pour servir, en même temps que la patrie, un système de gouvernement, considérer comme essentielle chez les fonctionnaires l’ardeur des convictions républicaines et employer leur influence à fortifier le parti républicain. Il se déclara acquis à la première de ces politiques ; il ajouta que Gambetta paraissait préférer la seconde, et Gambetta ne protesta pas ; il conclut que le gouvernement devait opter entre elles. Un scrutin donna quatre voix à Picard, Gambetta en obtint cinq. Il avait su ce qu’il faisait en occupant d’avance le poste à son gré : ne pas l’y maintenir eût été le destituer, et cette considération, plus que les doctrines, décida son succès. Picard se leva, déclara qu’il ne faisait plus partie du gouvernement, et fit mine de quitter la salle. On le retint et on lui proposa en compensation le ministère des Finances qu’il se résigna à accepter, mais de mauvais cœur. Jules Favre eut les Affaires Etrangères parce que le chef de la gauche, déjà dépouillé de la présidence, ne pouvait pas rester sans portefeuille, et, à défaut du diplomate qu’on n’avait pas, l’orateur le plus célèbre par son opposition à l’Empire parut le plus qualifié pour représenter auprès de l’Europe la République. La compétence décida d’un choix, puisque Jules Simon reçut l’Instruction publique. Crémieux, pas plus que Gambetta, n’avait attendu qu’on statuât sur ses aptitudes, et, à peine proclamé à l’Hôtel de Ville, était parti pour la place Vendôme, s’attribuant par préciput le ministère de la Justice : il le garda sans conteste. Les autres députés de Paris se contentèrent d’être membres du gouvernement. Il fallait faire une part aux députés de province. Ceux d’entre eux qui dans l’après-midi avaient fourni leur concours étaient revenus vers le soir, prêts encore à délibérer avec le gouvernement. Mais déjà la hiérarchie se formait, ils avaient trouvé la porte du Conseil close, et attendaient les nouvelles dans un salon voisin. Ils apprirent ainsi que Magnin était nommé aux Travaux publics et Dorian au Commerce : Dorian objecta qu’ingénieur il serait plus à sa place aux Travaux publics, Magnin, qui n’avait pas de préférences, accepta le troc, et le gouvernement y souscrivit. Kératry fut confirmé comme préfet de police. Steenackers obtint la direction des télégraphes.