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les premiers saisie, il ne pouvait pas, usurpant sur le pays, choisir un gouvernement définitif, et de tous les gouvernemens, celui dont il était le plus éloigné était la République. Il y a des mots évocateurs qui séparent irrévocablement les hommes non seulement par les idées, mais par les souvenirs, les sentimens, le point d’honneur. Le Corps législatif ne pouvait sans renier son passé accepter la République, la révolution ne pouvait y renoncer sans renier sa victoire.

Les députés proclamés à l’Hôtel de Ville comprirent quelles chances de guerre entraînerait toute tentative pour obtenir à l’œuvre de l’émeute la sanction de la légalité. Que dans ce gouvernement confirmé par la Chambre, Rochefort ne fût pas maintenu, la démagogie retrouvait un chef : qu’ils parussent par leurs pourparlers avec le Corps législatif remettre en question la république, la démagogie retrouverait un prétexte. Ils couraient risque de voir se tourner contre eux une partie des forces qu’ils maintenaient contre elle. Ils prendraient l’air et garderaient la honte d’abandonner le régime qu’ils avaient toujours voulu et qu’ils venaient d’établir, pour le bénéfice d’une entente avec le Parlement posthume d’un Empire détruit.

Ils ne furent pas seuls à penser cela. Certes, si le Corps législatif avait à espérer une aide, c’était de Thiers et de Trochu. Eux n’avaient ni liens antérieurs avec la république, ni solidarité avec l’émeute, leurs préférences étaient acquises à la monarchie, leur dévouement à l’ordre. Ils savaient que cette assemblée, impérialiste de circonstance, était conservatrice de nature, et qu’en soutenant ses droits, ils assuraient à leurs idées la prépondérance et à leurs personnes le pouvoir. Elle le leur offrait quand à son heure dernière elle choisissait Thiers pour président, et appelait Trochu comme défenseur. Tous deux touchaient à ces sommets du prestige où le sentiment d’un homme suffit à créer une opinion publique. Or Thiers ne se servit de son autorité sur l’Assemblée que pour la pousser à l’abdication et à la retraite, et Trochu devint le chef du gouvernement qui la dispersa. Similitude de conduite d’autant plus remarquable que ces deux hommes cherchaient dans des raisons fort différentes la règle de leurs actes. Thiers, sceptique aux théories et observateur attentif des faits, s’occupait surtout à peser les chances des résolutions qu’il aurait à prendre. Ses préférences de doctrines le portaient seulement à chercher avec plus d’ingéniosité et d’obstination les moyens de les servir, mais s’il ne croyait pas au résultat, il refusait son effort, et son principe supérieur était de ne pas perdre ses soins aux causes incurables. Trochu, accoutumé par les scrupules d’une conscience