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votes, et non seulement abattu par ses ennemis, mais renié par ses créatures.

En 1870, comme en 1814 et en 1815, le Corps législatif espérait en sacrifiant l’Empire se sauver lui-même. Il s’était montré prêt à reconnaître la révolution afin d’être épargné par elle. Vaine tentative, les chefs d’une opposition qui, depuis un mois et le matin encore, sollicitait son concours, déclarait accepter d’avance le régime et les hommes préférés par lui, et ne rien réclamer pour elle-même, avaient repoussé cette entente, gardé tout entier le pouvoir au nom de l’émeute, et dédaigné l’investiture de la légalité. Il succombait, détruit par eux, tandis qu’il accusait leur hypocrisie, leur ambition, et prétendait seul représenter le droit. En cela il ne jugeait équitablement ni de ses successeurs, ni de lui-même. C’est l’embarras de supprimer la dynastie qui avait fait toute la popularité du Corps législatif. Tous ceux qui voulaient renverser l’Empire sans hasarder une guerre civile avaient un instant espéré en la Chambre. Son indépendance, qui était née et paraissait grandir avec nos désastres, faisait oublier le vice de son origine ; et l’on avait attendu qu’elle se fît pardonner sa servilité par son ingratitude, disposé à accepter d’elle un gouvernement, par lassitude de celui qu’on subissait et par crainte de celui que l’émeute préparait. Pour avoir trompé cet espoir, employé en tergiversations l’heure décisive, subi la révolution au lieu de la prévenir, la Chambre avait perdu toute son autorité. Peu importait dès lors qu’après avoir laissé à d’autres le soin de tuer l’Empire, elle enregistrât cette mort. Sa sentence venait trop tard, trop tard son offre de choisir les successeurs. Ces successeurs n’auraient plus remplacé l’Empire vieilli, mais les élus d’une révolution accomplie quelques heures avant. Le même vote qui, rendu avant l’émeute, eût été un acte d’émancipation nationale, devenait, émis après l’émeute, un désaveu du droit révolutionnaire. Que les élus de la foule soumissent leur titre à la confirmation du Parlement, ils préféraient le pouvoir qui avait laissé vivre l’Empire au pouvoir qui l’avait vaincu. Ce n’était pas seulement remettre en question leur acte, mais sacrifier leurs personnes. Était-il vraisemblable que le Corps législatif laissât au gouvernement les seuls députés de Paris ? qu’il consentît à les investir tous, même les plus révolutionnaires ? Fût-il résigné enfin à ratifier en bloc les nominations faites à l’Hôtel de Ville, à l’Hôtel de Ville on n’avait pas seulement choisi des chefs, mais proclamé un régime. Or, si le Corps législatif pouvait dresser un procès-verbal de carence contre l’Empire, et laisser une autorité provisoire à ceux qui l’avaient