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gouvernement où tous étaient étrangers à l’armée ; que, pour la dignité de cette armée et le succès de ces opérations, l’homme de guerre avait droit à une place dans le gouvernement lui-même, et qu’il n’y pouvait prendre aucune place, sinon la première. Et avec cette assurance qu’inspirent seules l’impudeur de l’ambition ou l’intrépidité du devoir, le général réclama la présidence du gouvernement. La prétention parut juste, puisque l’homme était nécessaire. Jules Favre, à qui ce titre avait été déjà décerné, le céda de bonne grâce. Ainsi le nouveau pouvoir se trouva définitivement constitué.


III

Parmi les forces à gagner ou à combattre, les députés parisiens n’avaient pas compté le Corps législatif, tant ils tenaient pour morte l’Assemblée envahie.

Cependant, perdus au milieu de la foule, la plupart des députés étaient restés dans leur palais. Lorsque, sur les pas de Jules Favre et de Gambetta, une partie des manifestans courut sur l’Hôtel de Ville, la Chambre se trouva à moitié délivrée. A l’invasion violente succéda l’invasion pacifique, aux grandes poussées des masses compactes, la multitude des fractionnemens et le mouvement plus libre des individus. Gens du peuple et bourgeois entraient, visitaient, sortaient en curieux. Ils venaient voir le théâtre de l’accident. Ils voulaient avoir parcouru, grand ouvert et livrant ses arcanes, l’édifice mystérieux où se formait l’autorité, la puissance lointaine par laquelle ils se sentaient toute leur vie, tantôt menacés, tantôt défendus, liés toujours. Ils voulaient s’être une fois assis sur un siège de législateur. Au milieu de ce va-et-vient les députés purent se reconnaître, s’aboucher par petits groupes et brèves rencontres, et se dire leur volonté commune de reprendre la séance interrompue. Ils ne s’étaient pas faits à l’idée que, tout à l’heure arbitres de tout, ils ne fussent déjà plus rien. Mais la salle de séance restait le rendez-vous préféré de la curiosité publique, et tandis que le gros de la foule s’y renouvelait sans diminuer, un certain nombre de révolutionnaires demeuraient installés dans les tribunes et dans l’hémicycle, avec le parti pris d’interdire la place aux députés. Pour jeter dehors ces envahisseurs, il eût fallu une troupe. Les deux bataillons de garde nationale qui étaient de service n’avaient pas quitté la cour d’honneur ; le chef d’un de ces bataillons, sollicité de tenter l’aventure, la déclara trop périlleuse. On chercha ailleurs un asile que l’émeute eût laissé aux représentans. Elle avait respecté le