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pour que le souci du lendemain commençât : il fallait pourvoir aux besoins d’argent, et Ernest Picard alla au ministère des finances pour conférer avec M. Magne. Gambetta, resté seul place Beauvau, expédia aux départemens la dépêche suivante :

« La déchéance a été proclamée au Corps législatif.

« La République a été proclamée à l’Hôtel de Ville.

« Un gouvernement de défense nationale composé de 11 membres, tous députés de Paris, a été constitué et ratifié par l’acclamation populaire.

« Les noms sont :

« Arago (Emmanuel), Crémieux, Favre (Jules), Ferry (Jules), Gambetta, Garnier-Pagès, Glais-Bizoin, Pelletan, Picard, Rochefort, Simon (Jules).

« Le général Trochu est maintenu dans les pouvoirs du gouverneur de Paris et nommé ministre de la guerre en remplacement du général Palikao.

« Veuillez faire afficher immédiatement et au besoin proclamer par crieur public la présente déclaration.

« Pour le gouvernement de la défense nationale :

« Le Ministre de l’intérieur,

« LEON GAMBETTA.

« Paris, ce 4 septembre 1870, 6 h. du soir. »


Ce document était un mélange de ruse et d’audace, comme le caractère de son auteur. Gambetta savait la province hostile aux émeutes de la capitale et il donnait à croire, par un artifice de langage, que la déchéance de l’Empire était l’œuvre du Corps législatif. Il connaissait la popularité de Trochu, et il parlait comme si le ministère, seulement offert, eût été accepté déjà par le général. Enfin dans cette communication où il diminuait à dessein l’apparence révolutionnaire des faits accomplis, il poussait à l’extrême le droit révolutionnaire, puisqu’il s’attribuait de sa seule autorité le ministère de l’intérieur.

Trochu, dont il disposait d’avance, prenait pendant ce temps un parti que Gambetta n’avait pas prévu. L’appel du gouvernement n’était pas pour surprendre le général. La pensée que, chargé le matin de défendre l’Empire, il n’avait pas le droit de servir le soir une émeute victorieuse de l’Empire, ne le troublait pas. Loin que la gratitude de faveurs exceptionnelles le liât à la dynastie renversée, il se considérait comme un soldat tenu longtemps à l’écart, et qui, employé trop tard, sur la sommation de nos revers, avait vu l’empereur lui manquer de parole,