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révolutionnairement au gouvernement de Paris. Ceux à qui la foule de la capitale vient de donner la nation sont mal venus à disputer à cette foule l’autorité dans la capitale. S’ils la lui abandonnent, en face de l’Etat s’établit, au siège même du pouvoir, un pouvoir municipal indépendant, puis rival, bientôt maître. Ce conflit entre la Commune et l’Etat a fait les difficultés, les échecs et les crimes de nos régimes populaires. Et nul, à l’égal du régime établi le 4 septembre, n’était désarmé contre les prétentions de la capitale, composé comme il l’était de députés élus par elle et qui n’avaient cessé de réclamer pour elle l’autonomie.

Les meneurs révolutionnaires ne l’ignoraient pas, qui, à peine le gouvernement formé sans eux, soufflèrent à la foule de vouloir un maire de Paris. Consacrée par la légende de la première république, la proposition était faite pour plaire, car les masses françaises ont, en révolution, l’intelligence plus traditionnelle que novatrice et prennent pour des idées leurs souvenirs. Sur la place et dans l’Hôtel de Ville, le peuple commença donc à réclamer son maire. Qu’un nom, sorti d’une bouche, trouvât dans le peuple un écho vivant, parvînt porté par le cri de la multitude aux chefs faits tout à l’heure par elle et s’imposât à leur faiblesse, il n’en fallait pas plus pour créer dès la première heure l’antagonisme des pouvoirs et tous ses périls. Ils furent escamotés par un habile tour de main.

Parmi les premiers qui eussent pénétré dans l’Hôtel de Ville se trouvait Etienne Arago. Frère du grand astronome, oncle du député de Paris, et ancien député de 1848, il appartenait par ses origines à la république modérée. Par haine de l’Empire, il avait pris contact avec la démagogie, mais en était le complaisant plus que le complice, mettait surtout sa violence en paroles et était trop honnête homme pour faire un véritable conspirateur. La sincérité de sa nature et son humeur qui était facile, spirituelle et vive, lui avaient valu, dans les deux camps, des amitiés. Au moment où l’on commença à parler de mairie, quelques-uns de ceux près desquels il était prononcèrent son nom. Gambetta entendit, il connaissait l’homme, il devina qu’apaisé de ses véritables haines par la chute de l’Empire et partagé de sympathies entre les républicains de toute école, ce maire conseillerait au gouvernement beaucoup de faiblesses envers la démagogie, mais ne conduirait jamais la démagogie à l’assaut du gouvernement. Il jugea utile une candidature que les révolutionnaires ne pouvaient combattre et qui ne leur livrait pas la place. Aussitôt, paraissant obéir à une opinion qu’il créait par son assentiment : « Oui, dit-il de sa forte voix,