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de plus près ces origines, elles ne paraissent ni si nobles ni si pures : d’ordinaire le peuple n’a pas eu plus de part à la fondation des régimes révolutionnaires qu’à celle des gouvernemens d’autorité ; et l’on constate combien peu de mains et quels petits artifices ont fondé ces régimes dont on fait honneur à tous.

Il n’en fut pas autrement le 4 septembre. À l’Hôtel de Ville où allaient être choisis la forme et les chefs du gouvernement nouveau, la grand’salle contenait cinq mille personnes. La plupart, ouvriers et petits commerçans du quartier, descendus par curiosité de leurs demeures voisines sur la place, étaient dans le palais pour s’être trouvés les plus rapprochés des grilles quand elles s’ouvrirent. Ni le bruit, ni l’esprit même, qui partout où des Parisiens s’assemblent leur tiennent compagnie, ne pouvaient cacher le vide de leurs conceptions. Ils se bornaient à vouloir « autre chose » sous le nom de République, incertains sur les institutions et les personnes. Voilà l’autorité qui va créer un gouvernement et des chefs. Dans cette masse inerte, qui est le levain ? Deux petits groupes presque invisibles et perdus au milieu de la foule et qui s’agitent pour la mener. L’un compte une trentaine de démagogues qui tentent d’exciter des défiances contre les parlementaires, et de passionner la foule pour les hommes intacts, les grands proscrits : Ledru-Rollin, Louis Blanc, Victor Hugo. L’autre compte peut-être une centaine de gardes nationaux, d’avocats, de journalistes venus du Palais-Bourbon pour soutenir Gambetta et Jules Favre. Les premiers sont quelques inconnus qui demandent à des Français de se passionner pour des absens. Les seconds ont l’habitude et l’audace de la parole, et le parti qu’ils défendent est présent : Kératry, Ferry, Crémieux, Steenackers, Wilson, Guyot-Montpayroux, Glais-Bizoin, Magnin et Dorian entourent, comme une représentation de la gauche parlementaire, Gambetta et Favre ; en ceux-ci enfin réside la force qui dompte les multitudes, l’éloquence. L’énergie de cette petite troupe qui appuiera les propositions des chefs va entraîner peu à peu les incertitudes, échauffer l’indifférence, contraindre les applaudissemens, soulever l’enthousiasme de l’immense masse. Qu’est cette masse elle-même ? Une réunion d’hommes formée par le fait du hasard et le droit du premier occupant, une fraction imperceptible de la capitale. Et, à peine aura-t-elle consenti à ce qu’on voulait d’elle, cet assentiment s’appellera la volonté de Paris, la souveraineté du peuple, le droit de la France.

Les révolutions ont leur cérémonial comme les cours : Gambetta et Jules Favre durent d’abord haranguer la foule, et ainsi commencèrent à la conquérir. Ils se prêtèrent ensuite, par la