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et dévoré par la fièvre de l’action même inutile, était le modèle et le chef des impétueux qui, pour la joie du tumulte et l’amour de l’inconnu, mettent au service de toutes les aventures un courage de fous. Mazzini, ambitieux d’étendre ses trames italiennes jusqu’à la capitale de la France, y était représenté par un affidé, Sapia, qui agissait à Paris au nom du maître, et ce nom avait suffi pour attacher quelques disciples à l’apôtre de la conspiration universelle.

Toutes ces factions auraient dû, semble-t-il, être entraînées et se perdre en un vaste courant d’unité, lorsque l’Internationale, rompant avec sa tactique première, résolut, pour accomplir la révolution sociale, de commencer par la révolution politique. Mais si le prolétariat était d’accord pour déclarer la guerre à l’Empire, il n’était pas unanime sur les moyens de la soutenir. Même parmi les ouvriers de Paris, les plus remuans de tous, une faible minorité était disposée à l’action, et, loin que cette minorité, du moins d’accord avec elle-même, fût en état d’imposer sa discipline aux sectes précédemment formées, elle se composait d’hommes dissemblables par le tempérament et les vues. Ce furent eux qui se trouvèrent par ces contradictions détachés les uns des autres, et attirés çà et là vers les diverses écoles de violence. Loin que le nombre des groupes démagogiques diminuât, il fut augmenté : certains ouvriers en acceptaient les idées sans en accepter les chefs, qu’ils traitaient de « bourgeois », et entendaient être conduits par des hommes à eux. La rivalité des classes ajoutant ses discordes à celles des intelligences, les ouvriers qui adhéraient à la conspiration blanquiste et ne voulaient pas obéir à Blanqui, suivaient Jaclard ; Varlin dirigeait les disputeurs qui auraient juré par Delescluze, si Delescluze eût été un « travailleur » ; Millière, les féroces qui avaient deviné en ce disciple de Félix Pyatun homme capable d’accomplir les attentats conseillés par son maître ; Benoît Malon, ceux qui, défians de tous les politiciens, voulaient remettre la révolution aux mains sûres des socialistes.

Un homme parut un instant destiné à finir ces discordes. L’Empire vieilli était ébranlé par ses fautes et n’était plus défendu par ses lois, lorsque Rochefort avait commencé son rôle. Ce nouveau venu avait su répandre dans son encre autant de force destructive que les révolutionnaires en avaient jusque-là caché dans leurs complots, il avait à lui seul, en moins de deux années, conquis plus de Français à la violence que tous les conspirateurs ensemble depuis le commencement du règne ; il était devenu l’idole et le député de Paris où pas un d’eux n’aurait pu se faire