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palais un train tout à fait princier. Il avait l’attitude non d’un fugitif qui a trouvé un asile, mais d’un prince qui entend se faire respecter. » Une petite cour s’était constituée autour de lui, bruyante et impertinente, qui avait achevé d’exaspérer tout le monde. Et l’on ne fut qu’à demi enchanté d’apprendre l’échec de la tentative d’assassinat dirigée contre lui par un certain sergent Cornes, natif de Cailloux en Languedoc. « Cet homme, écrit l’ambassadeur d’Espines, a juré de purger ‘ la terre d’un prince qui a fait beaucoup de mal à sa patrie ; ajoutant qu’il étoit encouragé dans son dessein par quelqu’un qui pourroit un jour faire la loi aux puissans mômes. » Mais rien ne sortit de ce mystérieux projet, non plus que de plusieurs autres également « dirigés contre le comte d’Artois par la faction orléaniste. » Et le comte d’Artois restait toujours à Turin, détesté de la ville, détesté de la cour, où l’on avait même fini par l’exclure des fêtes officielles. Un jour enfin, le 4 janvier 1791, il comprit que sa situation devenait impossible, et partit. « Ce matin, rapporte le journal d’un courtisan, le royal comte d’Artois est parti pour Milan ; l’incertitude de son retour à notre cour royale a rendu bien amère à tous la séparation d’avec lui, mais particulièrement à sa royale épouse et à ses tendres fils. » Il allait à Venise, où l’attendait Mme de Polastron.

On le revit encore à Turin deux mois après, mais pour une quinzaine de jours seulement. Et ce fut dans tout le royaume une joie bien sincère quand on apprit qu’il s’était définitivement fixé à Coblence, devenue désormais la « capitale de l’émigration. »


T. DE WYZEWA.