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tentatives de répression, lorsque les dames prirent fantaisie, à leur tour, de rompre avec les anciens usages pour se conformer aux modes parisiennes. En vain le galant comité leur faisait sans cesse de nouvelles concessions, étendant d’année en année la limite des ornemens qu’elles pouvaient porter sans enfreindre la loi. En vain à ces mesures de tolérance il joignait la menace de nouvelles rigueurs, décrétant par exemple que toute dame qui aurait porté en public une robe de couleur, ou simplement des bijoux, serait pendant trois mois reléguée dans sa maison, avec défense d’y recevoir des visites que de ses proches parens. Les dames vénitiennes se souciaient bien de ces tolérances et de ces rigueurs ! Une seule chose les préoccupait : d’être vêtues conformément, non pas à l’ancienne loi de Venise, ni à la nouvelle, mais à la poupée de Paris, cette fameuse poupée qui a précédé la gravure de modes, et qu’elles pouvaient voir tous les ans, durant la foire de l’Ascension, exposée dans une boutique de la Merceria. Et bientôt ce ne fut plus une fois par an, mais une fois par mois, et bientôt presque une fois par jour que la poupée se montra aux dames vénitiennes vêtue d’une robe nouvelle. Encore dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la mode parisienne ne suffit-elle plus à leur folie de nouveauté. On leur offrit en outre la mode turque, la mode russe, la mode anglaise et la mode allemande ; et une des patriciennes les plus belles de Venise, Cecilia Tron, mérita d’être appelée la mode universelle pour l’innombrable variété des accoutremens dont elle s’ornait tour à tour.

Le Comité des Pompes, débordé, voulut du moins tenter un dernier effort. Le 7 août 1749, il émit un décret obligeant les dames à se vêtir de noir pour entrer dans les églises. Peine perdue ! on ne voulait plus entendre parler de noir, ni de décrets, ni d’économie. « Qu’ai-je à faire d’une belle dot ? disait un personnage de Goldoni à un vieux docteur qui voulait le marier. Ne voyez-vous pas comme sont faites les femmes d’à présent ? Si elles ont cent mille sequins, elles en dépenseront deux cent mille : la mode nous ruine, et pour avoir de quoi les vêtir à leur gré il nous faudrait des fortunes qui ne s’épuisent pas ! »


Dans un dernier chapitre M. Malamani nous raconte plus en détail les efforts et les défaillances du Comité des Pompes. Dès les premières années du XVIIIe siècle, les provéditeurs se plaignent au doge du relâchement des coutumes, et lui demandent par quel moyen ils y pourront remédier. Mais le doge n’en sait pas plus que les provéditeurs. De 1700 à 1709, c’est entre lui et le comité une longue série de rapports, de négociations, et de discussions, mais toujours sans effet. Et peu à peu un découragement s’empare de ces excellentes gens, qui ne va plus cesser désormais d’aller grandissant. Ils s’aperçoivent que le mal est sans remède, et cela parce que les seuls hommes qui dans l’État