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régulièrement espacés qui le conduisent jusqu’au sol ; ces tubes sont formés de plusieurs parties s’emboîtant les unes dans les autres ; étant ainsi articulés, ils suivent aisément les ondulations du terrain ; chaque tube porte en avant un petit soc qui ouvre dans le sol un léger sillon, le grain y est déposé, puis immédiatement recouvert d’une légère couche de terre par l’instrument lui-même.

En général, les lignes sont espacées de 18 à 20 centimètres, largeur suffisante pour qu’on puisse faire passer entre elles les instrumens destinés à détruire les plantes adventices ; ce sarclage, facile dans les blés semés en ligne, devient très vite impraticable dans les blés semés à la volée ; l’emploi du semoir procure en outre une notable économie de semences ; au lieu de 2 hectolitres à 2 hectolitres et demi nécessaires au semis à la volée d’un hectare, 150 litres suffisent au semis en ligne. Si l’emploi du semoir était général, les semailles de nos 7 millions d’hectares exigeraient 10 à 11 millions d’hectolitres au lieu de 17 ; la différence, au prix actuel, représente 100 millions de francs.

La vue de la machine criarde, qui lentement parcourt les guérets, n’éveille aucune idée poétique, et on se prend à regretter le semeur s’avançant à pas réguliers, sans dévier, vers le point que constamment il fixe du regard : autour de son bras gauche, il a replié l’extrémité de son long tablier pour en faire un sac dans lequel il puise la semence qu’il lance d’un grand geste circulaire. Un comparait volontiers l’écrivain qui répand ses idées au modeste ouvrier qui prépare la moisson nouvelle, mais quand bien même cette image disparaîtrait du langage, comme le semeur de nos champs, on se consolerait en pensant qu’en économisant 6 ou 7 millions d’hectolitres de blé chaque année, on assure le pain de 2 à 3 millions de personnes.

Sous le climat de Paris, on sème le blé à la fin d’octobre ou au commencement de novembre ; si l’automne est doux, quinze jours plus tard, les lignes vertes commencent à apparaître, le blé est levé.

Avec l’hiver s’ouvre la période critique ; si la neige arrive, rien n’est perdu ; elle couvre les jeunes plantes d’un voile épais qui les protège contre les froids excessifs et surtout contre les ardeurs du soleil. Quand ses rayons frappent une plante dont la racine est emprisonnée dans une terre gelée, réchauffement produit par les radiations détermine l’évaporation de l’eau que contient la feuille, et comme la racine ne peut rien lui fournir, la feuille se dessèche et périt ; la récolte est perdue. Nous avons eu, depuis vingt ans, deux récoltes déplorables : en 1879, après un hiver dont les rigueurs sont restées célèbres, nous n’avons obtenu que 79 millions d’hectolitres ; et en 1891, encore après une longue