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Pour se convaincre que les liens ne sont pas imaginaires, mais réels, qui rattachent ces genres lyriques aux chansons de printemps et de danse, il suffit de parcourir la collection de ces pièces courtoises. Et peut-être est-il superflu de les classer logiquement et systématiquement en procédant des formes les plus simples aux plus complexes : car, sitôt admis le point de départ, — c’est-à-dire un certain goût de poésie pastorale inspiré par les fêtes et chansons de mai à un groupe de poètes qui s’amusent à ces gentils personnages de ballet, — il suffit de supposer à ces poètes la moindre initiative créatrice pour qu’ils aient pu imaginer d’emblée presque tous les motifs divers de ces chansons : les plus compliqués de ces motifs — et les plus compliqués sont si simples ! — ont pu naître les premiers. Voici donc, sans tentative superflue de classement logique, quelques spécimens et résumés de ces poèmes, arbitrairement choisis, mais qui en donneront le ton et l’impression.


Ce fu el trés douz tens de mai
Que de cuer gai
Vont cil oiseillon chantant ;
En un vergier por lor chant
Oïr m’en entrai…


C’est ainsi que débutent d’ordinaire les reverdies[1], qui nous décrivent quelque aventure ou quelque vision du poète. C’est le songe d’une matinée de printemps. Tantôt il écoute et comprend le langage des oiseaux, surtout du rossignol, « qui avait pris, dit M. G. Paris, sans doute à l’occasion des fêtes de mai, une sorte de signification symbolique et mystique. » Le trouvère demande au rossignol de chanter ; puis, assis près d’un buisson, il rivalise avec lui en jouant de la citole. — Ou bien il voit le loriot, le pinson, l’émerillon faire cortège au dieu d’Amour, qui chevauche, portant heaume de fleurs. — Ou encore il trouve sous un pin une jeune fille qui écoute les oiseaux, puis chante à son tour ; ils font silence pour l’entendre, comme vaincus par elle. — Souvent cette « dame » irréelle lui apparaît dans un verger, toute lumineuse parmi les fleurs :


En son chief sor
Ot chapel d’or
Qui reluist et restancele ;
Safirs, rubis ot entor
Et mainte esmeraude bele…
  1. Il ne nous est parvenu que fort peu de spécimens de ce genre. Ce sont les pièces éditées par Karl Bartsch (Romances et Pastourelles, Leipzig, 1870), sous les n° I, 27, 28, 29, 30a, 30b, 71, II, 2 et à la page 355. Toutes les pièces dont on parle ci-après sont publiées dans ce recueil.