Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Côte-d’Or, belle de Mai dans le Jura, reine Maya en Provence. Vêtue de feuillage, promenée aux chansons sur un pavois enguirlandé, ou logée dans une niche fleurie, elle apparaît comme l’esprit même de la végétation, l’épousée de Mai, promise à la fécondité prochaine.

Tels sont, rapidement groupés, les principaux vestiges des fêtes de mai. Ils vont s’effaçant chaque jour, sans qu’il convienne peut-être d’en regretter trop amèrement la perte. Dès qu’un folkloriste a noté l’une de ces coutumes en tel village, elle peut disparaître de ce village. Sans doute, il est touchant de voir les générations perpétuer, sans plus la comprendre, la tradition des cultes ancestraux ; mais cela seul est actuellement poétique qui est actuellement vivant, et les hommes d’aujourd’hui ont, comme on sait, une autre façon de célébrer les maieroles. Pour rendre à ces usages leur essentielle beauté, il faut les transporter dans le passé lointain. « C’étaient en effet, dit M. G. Paris, des fêtes consacrées à Vénus, les anciennes Floralia. » Oui certes, à condition de sous-entendre d’ailleurs que la Vénus qu’on y célébrait n’est pas la Vénus officielle transportée en Gaule par les légions, mais celle que chantait Lucrèce :


Te, dea, te fugiunt venti, te nubila caeli
Adventumque tuum ; tibi suavis daedala tellus
Summittit flores ; tibi rident aequora ponti
Placatumque nitet diffuso lumine caelum.


Ce grand sens naturaliste a été restitué aux fêtes du printemps par un mythologue de la haute lignée des Grimm, des Asbörnsen et des Gaidoz, ce Wilhelm Mannhardt dont la Mélusine a conté la vie misérable et si belle. Infirme, frappé par le mal au seuil d’une carrière active où il avait fondé la première revue qu’ait possédée la science des traditions populaires, condamné aux chevalets orthopédiques, il évoqua autour de son chevet les divinités obscures, traquées par les religions supérieures, qui vivent encore dans les bois. Il possédait les dons d’incantation des anciens mystagogues, et la forte culture philologique du savant, et le tact subtil du poète, qui seul permet de manier sans les froisser les mythes, ces êtres fragiles. Son plus beau livre, les Cultes des forêts et des champs[1], nous fait reconnaître en nos fêtes de mai un épisode d’un vaste drame mythique, dont les fêtes de la moisson et celles de Nord forment les autres actes. Quand on a

  1. Wilhelm Mannhardt, Baum- und Feldkulte, 2 vol. ; Berlin, 1877.