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la divine promesse de consolation et de réconfort, et que ce ne soit plus seulement le Christ, mais la musique elle-même, qui ait dit à tous ceux qui sont dans la peine, à tous ceux qui ploient sous les fardeaux : « Venez à moi et je vous soulagerai. »

Elle fera plus que les soulager : elle les enseignera aussi. Le peuple trouvera dans la musique, autant qu’un intérêt de sympathie, des exemples de conduite. Elle lui révélera les rapports nécessaires, qui sont les éternelles lois. Mais toute musique sera-t-elle capable, digne de donner à la foule ces hautes et salutaires leçons ? Non sans doute. Toute œuvre, tout chef-d’œuvre même n’est pas bon pour tout le monde, et le plus populaire aujourd’hui des grands musiciens, celui qui dans notre siècle finissant aura fait le plus de bruit, n’est peut-être pas, au point de vue sociologique, celui qui aura fait le plus de bien. Du moins n’aura-t-il pas fait que du bien. Des œuvres de Wagner, il en est, comme Tannhaüser, Lohengrin, certaines pages de la Tétralogie, des Maîtres Chanteurs ou de Parsifal, que le peuple ne connaîtra, n’admirera jamais trop. Il en est d’autres qu’on souhaiterait presque de lui cacher ou de lui interdire, comme ces modes dangereux que Platon proscrivait de sa République. De ces œuvres défendues, ou réservées, la première serait peut-être Tristan et Yseult. Nous en relisions récemment dans le Triomphe de la mort de M. Gabriel d’Annunzio la très puissante, très troublante analyse, et jamais ce que le drame wagnérien renferme de pernicieux, d’anti-social surtout, ne nous était plus clairement apparu. Le Wagner de Tristan n’a-t-il pas faussé, vicié le principe ou la force sociale par excellence, l’amour, en lui donnant pour fin et pour idéal, au lieu de la vie, la mort ? Le romancier d’Italie ne s’y est pas mépris, lui que des affinités secrètes prédisposent à goûter mieux que personne ces étranges et malsaines beautés. Dès le prélude de Tristan, M. d’Annunzio reconnaît « l’insatiable désir exalté jusqu’à l’ivresse de la destruction. » Et plus loin, qui l’accusera de calomnier Yseult ou seulement de la méconnaître, lorsqu’il écrit : « La puissance de destruction se manifestait en la femme magicienne contre l’homme qu’elle avait élu, qu’elle avait voué à la mort… La passion mettait en elle une volonté homicide, réveillait dans les racines de son être un instinct hostile à l’être, un besoin de dissolution et d’anéantissement. Elle s’exaspérait à chercher en elle et autour d’elle une puissance foudroyante qui frapperait et détruirait sans laisser de traces. » Quand Yseult, au second acte, éteint et foule aux pieds le flambeau, c’est avec une joie farouche, et de cette joie son cœur bondit non seulement à l’approche de l’amour,