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l’assemblée à se rallier à une motion d’ajournement que les radicaux avaient présentée. Les modérés s’y sont opposés par l’organe de M. Franck-Chauveau, et ils ont eu gain de cause. C’est à peine si quelques paroles ont été échangées. M. Milliard, au nom des groupes libéraux du Sénat, a déclaré en termes très nets que la politique extérieure du gouvernement n’avait pas la confiance de l’assemblée, et une majorité considérable s’est prononcée dans ce sens. Si cette majorité s’était produite quelques jours plus tôt, c’en était fait du ministère ; mais, même tardive, elle lui a porté un coup dont il aura de la peine à se relever. M. Bourgeois avait cru sans doute que le vote de la Chambre entraînerait, commanderait pour ainsi dire celui du Sénat, et que la session se terminerait pour le ministère dans une apothéose patriotique. Assurément, sa conduite antérieure ne méritait pas une pareille marque de satisfaction. Rien n’a troublé dans son impassibilité le jugement du Sénat. Voici le texte de l’ordre du jour voté par lui : « Le Sénat, prenant acte des déclarations faites hier à la Chambre auxquelles le président du conseil a dit ne pouvoir rien ajouter et les jugeant insuffisantes, déclare ne pouvoir lui accorder sa confiance. » Il y a là quelque chose de sec et de péremptoire, qui indique une résolution définitivement arrêtée. Une émotion prolongée a suivi ce vote. Le Président du Conseil a quitté immédiatement la salle des séances. Allait-il donner sa démission ? On se l’est demandé. Les paroles qu’il avait prononcées quelques jours auparavant donnaient à le croire. S’il avait besoin alors de l’adhésion du Sénat pour continuer avec autorité ses négociations au dehors, il est évident qu’il n’en avait pas un moindre besoin quatre jours plus tard.

L’adhésion de la Chambre, surtout dans les conditions où elle lui avait été donnée, ne pouvait plus lui suffire. Néanmoins les ministres ont pris la résolution de rester. Ils n’auront pas d’autorité au dehors, voilà tout. Ils en auront même fort peu au dedans, ce qui est moins grave. Ils se sont réunis au ministère des affaires étrangères en conseil de cabinet, et après une délibération qui n’a pas été longue, bien qu’elle ait été plusieurs fois interrompue par des députations de radicaux venus pour conseiller la patience, M. Bourgeois est allé à l’Elysée où il a fait savoir à M. le Président de la République que ses collègues et lui étaient d’avis de conserver leurs portefeuilles. M. Félix Faure a tenu à faire publier une note dans les journaux pour dire qu’il n’avait pas été consulté sur une résolution dont on s’était borné à lui faire part.

La situation qui ressort de tous ces incidens est intolérable. Les modérés de la Chambre peuvent mesurer aujourd’hui la faute qu’ils ont commise en n’attaquant pas plus tôt le ministère. S’ils lui avaient déclaré dès l’origine la guerre qu’ils ne lui font que depuis six semaines, il aurait vécu depuis longtemps. Les radicaux se plaignent qu’on l’ait