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de prières, aussi bien que de dispositions législatives », et passèrent longtemps pour sacrées. La participation au culte officiel fut la, principale prérogative du citoyen, et l’étranger fui regardé comme un ennemi par cela seul qu’il en était exclu. « La religion, qui avait enfanté l’Etat, et l’Etat, qui entretenait la religion, se soutenaient l’un l’autre, et ne faisaient qu’un ; ces deux puissances associées formaient une puissance humaine à laquelle l’âme et le corps étaient asservis. »

A la longue, pourtant, cet édifice si solide fut menacé et détruit. Il arriva, en effet, que la religion perdit de plus en plus son empire sur les esprits et cessa d’inspirer toutes les pensées. D’autre part, les classes qu’elle écartait du corps politique s’insurgèrent contre un régime qui leur ménageait trop peu de garanties et réclamèrent l’égalité. Alors commença une série de révolutions qui modifièrent graduellement les règles du droit privé, l’état des personnes et des terres, les principes du gouvernement, les mœurs publiques, et qui tirent succéder l’oligarchie à la royauté et la démocratie à l’oligarchie. On alla encore plus loin : sous l’action de la philosophie, les idées s’élargirent ; on s’aperçut que « les êtres différens qu’on appelait du nom de Jupiter pouvaient bien n’être qu’un seul et même être », et la fusion des divinités locales prépara insensiblement la fusion des cités. L’esprit municipal, jadis si rigoureux parce qu’il procédait de la religion, fut remplacé, du moins en Grèce, par une sorte de cosmopolitisme qui embrassait jusqu’aux barbares. L’individu tendit, à s’émanciper du joug de l’Etat ; il comprit qu’il y avait « d’autres vertus que les vertus civiques », et son Ame « s’attacha a d’autres objets qu’à, la patrie. » De toutes manières, « on était entraîné à l’unité » ; on se sentait à l’étroit dans l’enceinte de la cité, et l’on aspirait à créer des sociétés plus vastes. Rome profita de cet affaiblissement du patriotisme pour conquérir le bassin de la Méditerranée. Par-là, toutes les cités disparurent une à une, et « la cité romaine, la dernière debout, se transforma elle-même si bien qu’elle devint la réunion d’une douzaine de grands peuples sous un seul maître. » Enfin le christianisme, en séparant la religion du gouvernement, en fondant la liberté intérieure, et en proclamant le dogme de l’unité de Dieu, acheva la ruine des vieilles croyances et des vieilles institutions.

Tel est, en résumé, le système développé dans la Cité antique. Nous avons là une sorte d’Esprit des lois restreint aux sociétés anciennes et conçu d’après une méthode beaucoup plus scientifique. Les vues de M. Fustel ont perdu une partie de leur originalité, parce qu’elles sont entrées pour la plupart dans le courant de l’histoire. Mais, à l’époque où il les exprima, elles étaient très