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et elle avait reconnu bientôt, au profit du public, que les tarifs d’abonnement demandés jusqu’alors étaient exagérés. Ce n’est pas tout : limité d’abord aux conversations urbaines, le téléphone, de progrès en progrès, en arrivait à se montrer efficace sur de grandes distances. En 1885, on pouvait causer de Rouen au Havre ; deux ans après, de Paris à Lille, à Bruxelles et à Marseille. Il était à prévoir que le public réclamerait bientôt ce mode de conversation de ville en ville, comme vingt ans auparavant il réclamait le télégraphe. Le moment était venu de décider sous quel régime se développerait la téléphonie : il ne pouvait plus être question que d’une entreprise unique pour la France entière : fallait-il la concéder à une compagnie ou la réserver à l’administration qui exploite déjà le télégraphe ? La réponse ne pouvait être douteuse ; le télégraphe et le téléphone se complètent l’un l’autre, s’exploitent avec des engins et par des procédés peu différens. Abandonner à une société financière le nouvel instrument de correspondance, c’était peut-être compromettre les recettes de l’appareil plus ancien qui figurent pour une assez grosse somme au budget de l’Etat. Puis enfin de nombreuses délibérations des chambres de commerce, c’est-à-dire des plus intéressés à ce que la question fût résolue dans le meilleur sens, ne laissaient aucun doute sur les dispositions du public.

Et voilà comme un nouveau monopole, et non des moindres, est venu s’ajouter à ceux que gère déjà l’Administration des postes et des télégraphes. C’est à l’automne de 1889 que la société concessionnaire des premiers réseaux se vit dépossédée, non sans contestation ni même sans brutalité, car elle ne livra aux représentans de l’Etat ses locaux et ses appareils que sous menace d’expulsion par la force armée, et les litiges auxquels a donné lieu cette sorte d’expropriation sont encore en suspens au moment où ces lignes sont écrites.

Qui osera dire ce que deviendra plus tard le téléphone dans l’ensemble de nos moyens de correspondance ? Jusqu’où s’étendra cette industrie qui a pris tant de place dans nos mœurs, à peine sortie de l’enfance ? l’avenir nous donnera-t-il la conversation imprimée et non plus parlée ? Pourtant il semble dès à présent que le message téléphoné ne remplacera pas le télégramme, pas plus que le télégramme n’a remplacé la lettre. L’écrit autographe a sa valeur propre que les amoureux, aussi bien que les négocians, préféreront toujours aux feuilles bleuâtres du télégraphe, aux transmissions fugitives du téléphone.