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patrimoniale ; que plus tard encore il s’est dit de toute propriété, mais qu’en aucun cas il n’a désigné une classe spéciale de terres. » Il remarque que l’alleu existait pour les Romains comme pour les Francs, pour les femmes comme pour les hommes, que la locution alodis était usitée dans toutes les parties de la Gaule, qu’en revanche elle était inconnue des Wisigoths, des Burgondes, des Lombards et des Saxons ; qu’il n’est pas sûr dès lors « que les différentes branches de la race germanique l’aient emportée de leur commune patrie », que, selon toute apparence, elle « était entrée dès les derniers temps de l’Empire dans la. langue des praticiens de la Gaule, et qu’ensuite Francs et Romains s’en servirent également, par cette raison que l’héritage était chose ? également romaine et germanique[1]. » Une discussion ainsi conduite peut mener à l’erreur si l’auteur manque de perspicacité ; mais il est clair qu’elle donne peu de place à la fantaisie et à l’imagination.

Sortir des textes et revenir constamment aux textes, tel est le principe fondamental de M. Fustel. « Les textes ne sont pas toujours véridiques ; mais l’histoire ne se fait qu’avec les textes, et il ne faut pas leur substituer ses opinions personnelles. Le meilleur historien est celui qui se lient le plus près des textes, qui n’écrit et même ne pense que d’après eux. » Ce n’est pas qu’on doive accepter aveuglément tout ce qu’ils disent. M. Fustel savait mieux que personne combien ils abondent en lacunes et en erreurs, et il les maniait avec une extrême prudence. Nos moyens d’information ne sont souvent que de seconde main. Les ouvrages d’Hérodote, de Denys d’Halicarnasse, de Tite-Live, de Plutarque, de Dion Cassius, n’ont pas la valeur d’une source originale ; ils nous racontent les événemens non pas comme ils se sont passés, mais comme tous ces auteurs les conçoivent, et il se peut que leurs récits soient parfois infidèles. C’est à l’historien de juger jusqu’à quel point ils méritent créance. Les documens authentiques, inscriptions, textes de lois, chartes, diplômes, monumens figurés, ont en général une plus grande autorité et éveillent moins de défiances, bien que la critique ait aussi de fréquentes occasions de s’exercer sur eux. En tout cas, c’est là, c’est dans cette double série de témoignages que gît, sinon la vérité historique, du moins la portion de vérité qui nous est accessible pour l’instant. Si sur une époque nous n’avons point de textes, ou si nous n’en possédons que d’inintelligibles ou d’incomplets, nous n’avons qu’à confesser notre ignorance. Les anciens ne nous apprennent rien de

  1. L’Alleu, p. 119 et suiv.