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théâtres attrayans, l’amusant imprévu des quotidiennes rencontres, ou le lien trop prévu d’une tendresse de fortune ? Rien de ces choses en Algérie, rien dans les postes du Tonkin.

Beaucoup sombrent, hélas ! ils n’étaient pas d’étoffe ; l’alcool les prend surtout et les ruine petit à petit. A certains le passé est si lourd à porter ! Mieux vaut, qui sait, l’hébétude voulue de la conscience assoupie, que la claire perception de la chute irrémédiable ! L’on comprend, si peu qu’il faille insister, que, de toutes les indigences dont soutirent les cadres inférieurs de la Légion, la pauvreté morale ne soit pas la moins préoccupante.


VI

Comme toute situation issue de circonstances pressantes, accommodée hâtivement aux besoins du moment et conservée ensuite dans sa forme provisoire, celle de la Légion au Tonkin pèche par une organisation trop rudimentaire. La faute en remonte à bien des causes, dont la principale sera toujours l’empressement inconsidéré de devancer les événemens, en substituant l’occupation régulière à la conquête, avant que celle-ci soit terminée. Imposées par des considérations budgétaires, les réductions d’effectif ont été prématurées, et nos troupes, incapables d’affirmer numériquement leur supériorité, ne l’ont maintenue qu’à force de mobilité et vivent sur un pied d’expédition perpétuelle.

La Légion a donc gardé ses postes de combat sur la frontière, ce qui condamne les détachemens à un éparpillement préjudiciable à l’action régulière du commandement. Il est certain qu’en l’état actuel, les dures obligations d’un fractionnement excessif laissent parfois les chefs de bataillon inutiles et relégués derrière le rideau sans fin de leurs postes disséminés. Il n’est pas douteux non plus que les quatre bataillons, aujourd’hui livrés à eux-mêmes, gagneraient à être groupés sous le commandement de l’un des colonels des régimens étrangers. A leur administration suffirait un seul conseil éventuel, tandis qu’aujourd’hui chaque bataillon a le sien. L’unité de direction, par la mise en commun des ressources, amènerait, au point de vue de l’instruction et de l’installation, de rapides et nécessaires améliorations. Pour la bonne marche des choses militaires, rien ne compense l’absence d’une autorité suffisamment élevée, proportionnée en prestige au chiffre des combattans à conduire. Elle apporte à la défense des intérêts dont elle a la garde le poids d’une personnalité déjà en vue, d’une expérience justifiée, et l’indépendance d’une carrière déjà faite, sans appréhension d’avenir à compromettre. A tous