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de leurs sujets d’élite, s’alourdissent dans une proportion équivalente des déchets du Tonkin, gardent religieusement leurs non-valeurs physiques et morales et finissent par présenter une force douteuse où les recrues, insuffisamment instruites, les incorrigibles de toute nuance, les invalides de toute catégorie usurpent, dans l’effectif, une majorité inquiétante.

Si anormale que soit, en temps de paix, une pareille situation, elle ne se révèle pas aiguë, en raison des habitudes de travail anodines de l’armée d’Afrique, de son instruction sommaire, de sa préparation de mobilisation embryonnaire ; mais qu’imaginer si les circonstances exigeaient soudain de la Légion, et simultanément, son maximum d’emploi, qu’elle reparût sur un champ de bataille d’Europe, tout en faisant face à l’insurrection arabe sans quitter son poste avancé d’extrême Orient ? Une telle supposition est-elle invraisemblable ? C’est celle de la guerre de demain, celle qui enferme tout le but à atteindre, qui marque la limite de l’effort à produire. Or, en l’état actuel, sans aucun doute possible, les troupes étrangères ne la supporteraient pas. Les vices de leur organisation trop peu étudiée y entrent pour quelque chose, et il est loisible d’y remédier, mais le service colonial en est surtout la cause, et de ce côté il n’y a pas d’atténuation possible.

Oui, la part prise par les colonies, et c’est la meilleure, il faudra encore défalquer de ce qui reste, tout ce qui n’aura ni la vigueur, ni l’instruction, ni la discipline d’un combattant d’Europe, éloigner tous les hommes des nationalités suspectes, c’est-à-dire celles dont la coalition nous menacera, et alors, que restera-t-il ? Et à quel moment s’opérera cette indispensable sélection ? Est-ce à l’heure même de la mobilisation ? En ce cas, qu’espérer d’élémens disparates, soudés vaille que vaille, au début de l’acte exceptionnellement grave qui réclame la plus impeccable cohésion, qu’on n’aborde qu’armé de toutes les prévoyances, en règle avec toutes les prévisions ? Les choses seront-elles réglées d’avance en incorporant, dans les mêmes compagnies, les seuls hommes mobilisables ? Ce sera alors ressusciter les anciens groupemens par nationalité, reconnus si funestes à l’esprit de corps. Cette fois aura-t-on conquis la stabilité de mobilisation requise ? Nullement, puisque les conditions des détachemens en Algérie s’opposent à leur permanence, et que leur relève annuelle remettra toujours sur le métier cette trame de Pénélope.

Il vaut donc mieux renoncer à l’appoint d’un ou deux bataillons, le moment venu, que de les obtenir au prix de l’irrémédiable désorganisation du corps qui les fournit ; et ce sera une sage mesure de cantonner à l’avenir les régimens étrangers dans leur rôle colonial, en leur laissant toute leur valeur d’occupation