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III

Depuis 1883, la Légion, troupe d’Afrique, troupe d’Europe, est entrée en possession d’un troisième rôle : elle est devenue troupe coloniale. C’est assurément beaucoup, et comme elle est seule, dans notre système militaire, à suffire à d’aussi multiples obligations, il n’est pas sans intérêt de rechercher si on l’a créée d’assez robuste constitution pour y répondre. Montrer l’état présent de ses institutions nous permettra de conclure à tout ce qui leur manque pour sauvegarder l’exceptionnelle vitalité qu’elle tient de sa tradition passée, que nécessite encore plus impérieusement son mode d’emploi actuel, et qu’elle est en danger de perdre par l’incohérence d’une réglementation qui n’avait pas envisagé sa dernière transformation. Rien n’est d’ailleurs plus ignoré, même des militaires, que son organisation, son recrutement en hommes et en cadres, l’insuffisance de ses moyens d’instruction et de commandement, sa situation aux colonies. Après l’avoir connue et aimée, et au moment où certains projets d’armée coloniale s’emparent d’elle sans la comprendre, il nous a paru utile à sa cause glorieuse de faire luire la vérité. En ce jour baissant de nos suprématies nationales, il devient urgent de savoir si l’on veut en toutes choses se complaire aux troubles horizons précurseurs de la fin ou si l’on doit revivre en faisant effort vers la lumière ?

A dater du 1er janvier 1885, la Légion étrangère a constitué deux régimens étrangers, chacun à cinq bataillons, deux compagnies de dépôt, une section hors rang, une section de discipline.

Sur cette force, chaque régiment détache en permanence deux bataillons au Tonkin, sans liens avec leur corps dont ils ne tirent que leurs relèves, sans liens entre eux, dépendant uniquement du commandant supérieur des troupes de l’Indo-Chine. Des uns aux autres les relations se bornent donc à un va-et-vient perpétuel, le Tonkin absorbant les élémens frais, l’Algérie recueillant les débris fatigués, les détachemens réclamant les combattans formés, les portions centrales vouées à la pérennité des besognes de dépôt. Une seule règle préside à ces mouvemens ; l’obligation pour le corps de se sacrifier sans arrière-pensée aux seules considérations de sélection physique et militaire qu’impose une saine entente des conditions coloniales. Les bataillons du Tonkin ne peuvent, par suite, que bénéficier des meilleurs soldats, et ceci est leur droit de troupes en campagne. La règle est sage aussi qui, dans des régimens de volontaires, use du stimulant d’un tel choix comme efficace moyen de commandement. Il n’en résulte pas moins que les bataillons d’Algérie s’allègent périodiquement